Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 4.djvu/301

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
295
LITTÉRATURE ANGLAISE.

à ses véritables intentions. Pour la plupart, néanmoins, l’éditeur est au bout du voyage. Ils passent par l’Espagne, les Alpes ou la Russie, mais sans perdre un instant de vue cette portion du faubourg Saint-Germain où trônent les Colburn et les Bentley parisiens. S’ils s’en taisent, c’est fatuité pure.

Quant à nous, la véracité complète de M. Titmarsh, sur ce point délicat, nous a fait le plus grand plaisir, en ce qu’elle nous a paru garantir son exactitude à propos de toute autre chose. Et la vérité, la vérité avant tout, c’est ce que nous demandons aux voyageurs. Combien peu nous la rapportent ! Ajoutons que M. Titmarsh est un dessinateur humoriste, et qu’il a semé sa narration de petites pochades fort agréables. On comprendra facilement alors comment il nous a séduit, et comment, peut-être, nous ne serons que les interprètes fort insuffisans de son esprit, doublement formulé.

Voilà beaucoup de préliminaires. Aussi passerons-nous à Dublin sans plus tarder, à Dublin, dont les harengs grillés sont vraiment dignes de leur réputation. La ville est belle, les maisons, en briques rouges, ont un aspect majestueux. Stephen’s-Green, où le libérateur veut installer son parlement, est un square taillé dans d’immenses proportions ; mais les harengs grillés ont un charme tout particulier pour notre voyageur. Les harengs et les journaux du lieu, voilà ce qu’il admire tout d’abord. Et à peine a-t-il jeté les yeux sur ces derniers, que notre protestant reçoit la première aspersion d’eau bénite catholique. Le Morning Register lui apprend que l’évêque d’Aureliopolis a été sacré, ajoutant que cette distinction lui a été conférée par le saint pontife, the holy pontiff ; — expression malsonnante s’il en fut, — malsonnante aux oreilles anglaises, — quand il s’agit du pape de Rome. Mais Titmarsh devait en entendre bien d’autres.

Suivait dans le même journal un parallèle entre le prélat catholique et les évêques anglicans : le luxe effréné, l’épicuréisme de ceux-ci, étaient comparés aux vertus, à la pauvreté méritoire, à la vie de privations que s’imposait celui-là. Par malheur, immédiatement après cette philippique éloquente, le journaliste insérait un compte-rendu fort exact du dîner d’installation donné par le nouvel évêque aux officians du matin : le nom du restaurateur, l’éloge du repas, une phrase reconnaissante sur le bon choix et l’excellente qualité des vins, rien n’y manque ; et Titmarsh s’attendrit tout aussitôt sur la vie de privations qui commence pour les prélats romains au sortir de la chapelle où ils sont sacrés. — Les assises de Tiperary, dont il lit ensuite le détail, lui fournissent des réflexions moins gaies : six meurtres, coup sur coup jugés, tous commis de sang-froid, à la face du jour, quelques-uns en présence de témoins qui n’ont pas remué un doigt pour les empêcher, et qui se refusent obstinément à nommer les assassins ; ceux-ci, convaincus du crime, mais niant toujours, jusque sous la potence, afin de point compromettre leurs complices ou leurs témoins à décharge.

Tels étaient les premiers traits de la vie irlandaise. La solitude des rues, la paresse déguenillée des rares passans qui les traversaient, frappèrent aussi notre Londoner, habitué à l’activité silencieuse de la foule qui obstrue le