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plans et les espérances des grands du royaume. De Luynes avait servi leur vengeance en versant le sang de Concini, et ce sang avait scellé une sorte de pacte entre lui et la faction féodale ; mais bientôt la force des choses le contraignit à faire des efforts pour se dégager, et il se vit accusé de trahir ses amis alors qu’il ne faisait que se défendre. Il n’y allait pas moins que de l’existence de la royauté elle-même, et de Luynes n’était rien que par elle.

Les nouveaux ministres, et parmi eux le président Jeannin, esprit prudent et pratique, s’étaient refusés à rendre la liberté au prince de Condé, et, tout en abandonnant au pillage les finances de l’état ils résistaient aux demandes de gouvernemens et de places fortes de nature à compromettre l’intégrité de la monarchie. Les grands, qui avaient compté jouir d’une autorité pleine et entière, se trouvèrent donc frustrés dans leurs espérances. La plus grande partie des dépouilles de Concini et de son infortunée compagne était passée dans la maison de Luynes ; tel avait été, conformément à la loi générale des révolutions de cabinet, le principal, pour ne pas dire le seul résultat de celle-ci. Aussi le maréchal de Bouillon, que Richelieu appelle quelque part le démon incarné de la sédition, déclarait-il bien haut que la taverne était restée la même, et que le bouchon seul avait changé.

Ainsi compromis de deux côtés à la fois, Luynes comprit que pour conserver le pouvoir, et peut-être pour sauver la royauté, il fallait traiter avec la reine-mère, établie dans Angoulême à la tête de forces considérables. Les huguenots du Poitou accouraient déjà offrir à cette princesse leurs services intéressés. La cour émigrait en Saintonge, et le gouvernement faible et timide du duc de Luynes provoquait dans l’opinion publique, en faveur de la reine-mère, cette réaction qui ne manque jamais lorsqu’on sait l’attendre et la préparer. Pour ménager une réconciliation aussi difficile, le favori pensa à Richelieu, qui reçut à Avignon avec une joie inexprimable le message par lequel le roi lui enjoignait de se rendre sans délai près de sa mère. Ce long voyage, entrepris par ordre de la cour, conserva aux yeux prévenus de Marie le caractère d’un acte spontané de courage et de dévouement. Aussi l’évêque de Luçon, à peine arrivé fut-il le directeur de ses résolutions, l’inspirateur suprême de ses volontés. Il suggéra facilement à la princesse le désir de se rapprocher de son fils et de la cour ; mais, comme tous les chefs de faction, Marie s’appartenait moins à elle-même qu’aux hommes engagés dans sa querelle : aussi les efforts de Richelieu furent-ils inutiles pendant