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FERNAND.

monsieur, dit le jeune homme avec humeur, vous êtes un maladroit ! — Au contraire, monsieur, répliqua M. de Rouèvres : on ne fume pas sous les armes. » Cela dit, il salua froidement et gagna sa voiture, aussi calme que s’il venait de tuer un lièvre et de manquer un lapereau. Fernand, si tu te bats jamais avec ce diable d’homme, que ce soit à coups de faux, à coups de sabre, à coups de canon ; mais garde-toi de l’épée et du pistolet.

Tel est le récit fidèle des évènemens de la journée d’hier. Maintenant, que va-t-il se passer ? À la grace de Dieu. Voici pourtant où t’aura conduit ton système de ménagemens et de temporisation ! Ou je me trompe fort, ou tu vas te trouver acculé dans la plus horrible impasse où puisse s’étouffer la destinée d’un galant homme. Ne comprends-tu pas, malheureux, que cette femme, depuis ton départ, ne cherche qu’un prétexte pour s’aller jeter dans tes bras ? La passion suffirait à l’y précipiter ; mais penses-tu qu’elle hésite à cette heure, qu’elle se sent dénoncée à l’opinion et qu’elle voit son mari sur la voie de son déshonneur ? Les sacrifices lui coûteront d’autant moins qu’elle n’a plus grand’chose à perdre, et qu’il n’est rien d’ailleurs qu’elle ne sacrifiât avec joie à l’espoir de réveiller ton cœur et de ressaisir ton amour. Voyons, qu’as-tu fait pour parer le coup qui te menace ? Cette lettre de rupture est-elle écrite ? est-ce franc, net, décisif ? Ta main n’a-t-elle point tremblé ? Ce n’est plus d’Arabelle qu’il s’agit cette fois, c’est de ton repos, de ton avenir, de ta vie tout entière. Puisse cette lettre arriver assez tôt ! Si, fidèle à sa promesse, Mme de Rouèvres ne tente rien sans m’avoir revu, sans m’avoir consulté, rien n’est perdu. Je lui dirai, moi, que tu ne l’aimes plus ; ce courage que tu n’as pas eu, je l’aurai pour vous sauver tous deux. Mais qui me dit qu’il en est temps encore ? qui me dit qu’à cette heure Mme de Rouèvres n’est pas sur la route de Peveney ?


P. S. Bon courage, ami ! rien n’est désespéré. Je n’ai pu arriver jusqu’à la comtesse ; mais j’ai vu le comte, qui m’a paru d’une sérénité parfaite. Il parle d’enlever sa femme pour la mener aux eaux. Je ne m’étonnerais pas que la conduite qu’il vient de tenir rendît Arabelle au sentiment de ses devoirs. On a vu de ces retours soudains. Je crois même qu’on en cite jusqu’à trois exemples. Adieu donc ! Mon amitié, trop prompte à s’alarmer, s’était exagéré les dangers de la situation : tout est calme, rassure-toi.