Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 4.djvu/619

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
613
LA SARDAIGNE.

taires héritiers des barons qui reçurent autrefois avec l’investiture féodale ce droit de juridiction qui vient d’être abrogé ; les personnes titrées sans fiefs ni juridiction, c’est-à-dire les chevaliers ou nobles auxquels est accordé le titre de don, classe nombreuse après laquelle vient la petite noblesse, les chevaliers d’épée, qui ne peuvent prendre le titre de don, et ne doivent placer la qualification de chevalier qu’après leur nom propre. Ces différentes classes de nobles comprennent environ seize cents familles, ou à peu près six mille ames. Plusieurs priviléges leur sont communs. Un des plus précieux est celui qui les affranchit de toute autre juridiction que celle du vice-roi et de l’Audience royale. Si un noble est cité en justice, la loi lui accorde, pour répondre à cette citation, un délai de vingt-six jours ; dans les causes criminelles, il ne peut être traduit que devant ses pairs. Sept juges appartenant à la noblesse composent le tribunal devant lequel il est appelé à comparaître, et, s’il est condamné à la peine capitale, il a encore le privilége, à moins qu’il ne soit convaincu du crime de haute trahison, d’avoir la tête tranchée, au lieu d’être pendu comme le serait un vilain. Les nobles ont aussi le droit d’être toujours armés ; seuls ils sont admis aux fêtes du vice-roi, seuls ils peuvent ôter leur masque dans les bals publics du carnaval, car il n’est permis à un roturier de se découvrir le visage dans ces réunions qu’à la condition de porter au bras un petit ruban appelé maschera di ballo, qui le fasse reconnaître. Ce stigmate ne rappelle-t-il pas le morceau de drap noir que tout raya payant le karatch doit, en Turquie, porter à sa coiffure ? J’ai hâte d’ajouter que la haute noblesse, en général, est trop éclairée aujourd’hui, trop véritablement distinguée, pour prêter de l’importance à ces impertinentes distinctions.

Au surplus, le privilége doit être moins blessant en Sardaigne que partout ailleurs, car, loin d’être l’attribut caractéristique d’une minorité, il se retrouve partout. Il est des priviléges individuels ; il en est d’attachés à une classe toute entière ; il en est qui appartiennent à certaines fonctions, à certaines corporations, à certaines villes, à certains cantons. Chacune des dix villes de la Sardaigne a ses immunités particulières. La ville de Cagliari, entre autres, a le droit de se fournir gratuitement de bois de charpente ou de bois à brûler dans les domaines de la couronne. Le sel nécessaire à chaque famille doit aussi être apporté, aux frais de l’état, à la porte de chaque maison. Un autre privilége autorisait le conseil municipal de cette ville à prélever sur les récoltes des grands fiefs situés dans un rayon