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DES FEMMES MORALISTES.

fondamentale de l’union, et cet amour est si grand, si pur, disons le mot, si divin, qu’il établit entre les époux une intimité parfaite, céleste. Cela est vraiment beau ! Il n’y a qu’une difficulté : où sont les cœurs capables de ressentir un pareil amour ? Et s’il y en a peu, ou s’il n’y en a pas même chez lesquels un semblable amour puisse subsister long-temps sans altération, que devient la pierre angulaire du mariage ? Que devient le mariage lui-même ? En présence de tels obstacles, l’auteur devrait logiquement pencher pour le célibat. Eh bien ! non ; le célibat n’a pas de plus violente ennemie. Comment cela peut-il se concilier ?

Quoi de plus doux que l’intimité dans le mariage ? Deux cœurs bien nés qui sont remplis d’affection et d’estime l’un pour l’autre trouvent des trésors de bonheur dans cette intimité qui grandit chaque jour à mesure qu’on se connaît davantage. L’intimité ne doit-elle pas être un besoin du cœur plutôt qu’un article du contrat, et ne faut-il pas qu’elle s’étende en proportion de la tendresse ? Toute intimité entre époux est relative, et cependant Mme de Gasparin commande l’intimité absolue, c’est-à-dire l’échange de toutes les pensées, de tous les sentimens, partout et toujours. Elle ne reconnaît pas à l’un le droit de garder une pensée qu’il ne communique pas à l’autre ; elle fait même un devoir de se communiquer entre époux les secrets d’autrui, afin qu’il n’existe pas un seul point qui ne soit commun à tous deux ; l’on exécutera plus facilement ce second article que le premier, car à tout prendre ce n’est qu’une indiscrétion que recommande l’auteur, et remarquons en passant que jusqu’ici l’indiscrétion n’avait pas figuré dans les commandemens de Dieu !

Il est entendu que l’auteur ne s’en tient pas à l’intimité morale, et qu’elle insiste avec force, avec passion, pour que les époux ne soient jamais séparés. Ici les conseils sont superflus ; si l’on s’aime, vous n’avez pas besoin de recommander la présence au logis.

L’absence est le plus grand des maux.

On s’éloigne avec regret et l’on revient toujours avec bonheur. Si l’on n’aime pas, au contraire, que de prétextes plausibles pour l’absence ! Est-ce un grand mal, en ce dernier cas, que les choses se passent ainsi ? Mme de Gasparin ne voit-elle pas qu’il y aurait imprudence à tenir trop long-temps rapprochés deux êtres qui ne s’entendent pas ? Peut-être se font-ils un peu illusion sur la distance qui les sé-