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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 4.djvu/966

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REVUE DES DEUX MONDES.

des Maures, et ses épopées rappellent les romances du Cid. La Pologne est sœur de la France : elle n’a pas attendu pour combattre l’heure de son propre danger ; elle n’a pas songé à son existence seulement, elle a cherché au loin l’honneur sur tous les champs de bataille ; elle est généreusement accourue à la défense de l’Europe, et de ses conquêtes elle n’a conservé qu’un souvenir immense, elle n’a laissé en héritage à ses enfans qu’une grande sympathie. La Bohême, comme l’Allemagne, est lente, laborieuse, fidèle au passé, enthousiaste des idées abstraites. La Russie ressemble à l’Angleterre : toutes deux ont été modifiées par l’invasion normande, et lui doivent leur persévérance, leur patience, leur promptitude ; toutes deux convoitent l’empire universel, et dans les momens décisifs elles se sont toujours rapprochées, malgré cette égale ambition.

Voilà donc cinq langues, cinq littératures, cinq peuples différens ; mais on peut simplifier l’histoire slave. L’évènement principal en est l’antagonisme de la Russie et de la Pologne. Elles se sont disputé le sceptre de l’Europe orientale, et ont entraîné dans leur querelle les Slaves de la Bohême, du Danube et des steppes. On n’a pas encore compris ce qu’a d’implacable ce combat à outrance, cette Thébaïde séculaire. La Russie et la Pologne ne sont pas seulement deux états : ce sont deux pôles d’un même monde, deux idées contraires lancées au milieu des peuples slaves, qui gravitent tantôt vers l’une, tantôt vers l’autre. Cette dualité a des racines profondes ; elle agissait déjà sans doute secrètement à l’époque d’unité confuse, où l’on ne voyait que communes partout semblables ; car, aussitôt après, la langue se divise brusquement en deux dialectes, qui donnent naissance chacun à de nombreux idiomes. Chacun de ces dialectes a été déterminé et fixé par les idées politiques, morales et religieuses dont les Russes et les Polonais sont les représentans. Ainsi partout, dans la langue, dans l’alphabet même, comme dans la religion et le gouvernement, se manifeste l’hostilité qui partage le monde slave. Ce sont les causes de cette inimitié profonde, c’est ce secret de la Russie et de la Pologne qu’il nous faut pénétrer.

II. — RUSSIE.

Les Slaves étaient incapables de s’élever d’eux-mêmes à l’unité ; ils avaient besoin, pour se former en états, d’être aidés par le génie d’une autre race. Des tribus guerrières vinrent, à l’époque des grandes invasions, les soumettre, et leur donner l’organisation politique. Les pirates normands s’emparèrent des plaines russes. Ils venaient de la Scandinavie et pénétraient par les fleuves dans l’intérieur des terres. Leurs chefs exerçaient une autorité incontestée, et surent attirer tout le pouvoir à eux. Les Lèques et les Tschèques fondèrent en même temps les royaumes de Pologne et de Bohême. Ces peuples cavaliers descendaient du Caucase, et avaient pris par les steppes sans plan bien arrêté. Ils formaient une aristocratie fière, turbulente, indisciplinable.