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MANCHESTER.

sociétés de secours mutuel, les sociétés secrètes, se tiennent au cabaret. On comptait à Manchester, en 1834, 30,000 ouvriers affiliés à ces associations, autant de consommateurs obligés de bière ou de gin.

Le samedi soir et le dimanche sont les jours de la semaine où le peuple s’enivre. Pourquoi cet emploi de son repos ? par quelle conséquence des mœurs ou des institutions, le jour que la religion, après la nature, a consacré à relever l’homme du labeur quotidien, est-il follement abandonné en Angleterre à l’orgie ou à l’oisiveté ? Mettons de côté les autres causes de cette dépression morale ; il y a là un vice inhérent à l’état de la société moderne, vice qui se manifeste surtout de l’autre côté du détroit. Nous n’avons plus ni fêtes nationales ni fêtes religieuses. Les jeux athlétiques, auxquels nos pères avaient recours pour exercer sans fatigue les forces du corps, sont tombés en désuétude, et les cérémonies du culte, ces pompes qui faisaient perdre terre à l’esprit, qui le faisaient planer dans les régions supérieures, n’ont pas trouvé grace devant le sérieux de notre temps. Du moins, dans les villes catholiques, le goût des représentations scéniques a remplacé celui des spectacles religieux, et le théâtre pourrait devenir, sous l’impulsion d’un gouvernement intelligent, un puissant moyen d’éducation. Dans les pays protestans, où le puritanisme étroit des idées s’oppose à tout divertissement extérieur, et n’admet pas d’autre nourriture intellectuelle que la Bible le jour du sabbat, les classes laborieuses, tenues dans une immobilité stupide, ne sauraient trouver une autre diversion à l’ennui qui les ronge que l’excitation de la boisson. Aussi, plus les mœurs sont rigoureuses sur l’observation du dimanche, et plus s’accroît dans les cabarets le nombre des habitués. L’Écosse est infiniment plus puritaine que l’Angleterre ; mais c’est aussi la terre classique de l’ivrognerie.

Je ne sais rien de plus repoussant que cette physionomie raide et renfrognée des sectes protestantes. Tant que l’enthousiasme les anime, elles peuvent encore faire des prosélytes en violentant toutefois les ames, et non en les charmant ; c’est ainsi que l’Écosse tout entière se levait à la voix du fougueux Knox, et les succès plus récens des méthodistes s’expliquent par les mêmes procédés. Dès que cet emportement sauvage s’éteint, la société protestante est littéralement coupée en deux. Placez-vous au milieu de Briggate-Street à Leeds, de Mosley-Street à Manchester, de Lord-Street ou de Dale-Street à Liverpool. Quelles sont les familles que vous voyez se diriger vers les églises en silence et avec une attitude recueillie ? Il n’y a pas à s’y tromper : elles appartiennent presque exclusivement à la classe moyenne ; les ouvriers