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REVUE MUSICALE.

Il faut avouer que le dilettantisme parisien est ce qu’il y a de plus capricieux, de plus fantasque au monde. Vous l’entendez journellement se récrier sur ce qu’on ne fait rien de nouveau en musique, accuser tous les compositeurs de se tramer servilement sur les traces de deux ou trois maîtres en renom, et en même temps, si quelque essai honorable est tenté, ce public intelligent le désavoue, et va froidement accueillir l’œuvre semi-originale qui se glisse à l’improviste au milieu de tant d’imitations incolores et de vulgaires plagiats. On se souvient de ce qui se passa, voici environ quinze ans, à l’occasion du Crociato de M. Meyerbeer. Cette production sérieuse, mais d’un genre mixte, réalisant en abrégé, pour la première fois, cet éclectisme harmonieux, savant, devenu depuis l’idéal de l’auteur des Huguenots ; cette production, survenant au plus fort de la période rossinienne, étonna et n’eut d’abord qu’un médiocre succès, car l’étonnement, on le sait, touche aux deux points extrêmes, et si, d’une part il confine à l’enthousiasme, de l’autre, il aboutit à l’indifférence. Ce qui jadis eut lieu à propos de l’opéra de M. Meyerbeer vient de se renouveler l’autre semaine pour le Corrado d’Altamura de M. Frédéric Ricci, partition d’un ordre évidemment supérieur, produit, elle aussi, d’un esprit italien qui a fréquenté l’Allemagne. Comme le Giuramento, la Vestale, de Mercadante, comme tous les bons ouvrages de la jeune école qui s’est formée au-delà des Alpes depuis Donizetti, Corrado d’Altamura affecte une certaine sévérité dans l’instrumentation, quelque chose de net et de précis qui rompt singulièrement avec le laisser-aller italien. Ce n’est plus Bellini, ce n’est pas tout-à-fait Meyerbeer ; peut-être faudrait-il recourir à l’ancienne musique française, à Méhul, pour donner une idée de ce style habilement sobre, de cette modération dans l’emploi de la science qu’on se sent posséder à fond. Bien entendu qu’il ne s’agit ici que du système, et que la veine chaleureuse, le brio instinctif, se chargeront de réchauffer au besoin ce que cet amour du correct pourrait avoir de trop froid sur la terre classique de l’inspiration libre et spontanée. Le mérite principal de l’école dont je parle