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CRITIQUE HISTORIQUE.

grace et de courtoisie, elle rit si haut et en apparence de si bon cœur ; elle est, en outre, si spirituellement prônée par ses héros éphémères, devenus plus tard ses panégyristes dans les loisirs du cabinet, qu’on se prend à l’aimer et à s’intéresser à elle, comme si elle eût créé une idée féconde ou produit un fait retentissant, et cette usurpation de renommée dure jusqu’au jour où un historien consciencieux et sceptique s’en vient secouer la poussière de tous ces brillans mensonges et constater le néant de cette longue apothéose.

Telle a été, pendant deux siècles, la destinée historique de la fronde, et cette singularité, si c’en est une, ne nous semble point malaisée à expliquer. La fronde avait eu le dessus dans cette bruyante mêlée de paroles qui accompagne si souvent les guerres civiles, et le nom générique de ses adhérens avait conquis une signification cavalière et moqueuse que l’usage a conservée dans notre langue. Elle avait compté dans son sein les plus beaux noms de France et les plus belles femmes de la première moitié du XVIIe siècle ; elle avait tout le mérite d’une opposition long-temps triomphante dans un pays où la foule, obéissant à cet instinct de résistance qui caractérise les peuples hautement doués de l’esprit d’examen, bat facilement des mains au spectacle des hostilités exercées contre le pouvoir, elle s’était appuyée sur le corps le plus populaire de cette monarchie absolue, le parlement, et sur la bourgeoisie parisienne, qui possédait autrefois comme aujourd’hui, bien qu’à un degré moindre, une remarquable influence sur l’opinion ; elle vivait enfin sur une réputation d’esprit que lui avaient value les saillies parlées et les justifications écrites de quelques-uns de ses fauteurs, et qui lui tenait lieu des meilleurs argumens. C’était en outre un curieux et séduisant tableau que cette étrange cohue de gentilshommes étourdis, d’héroïnes guerrières, de bourgeois peureux et criards, de populace insolente, excitée par les souvenirs révolutionnaires de la ligue, avec le parlement pour avant-garde, la réformation de l’état pour drapeau, le cri : point de Mazarin ! pour mot d’ordre, et, pour apologiste, ce fameux coadjuteur de Retz, qui a écrit la Conjuration de Fiesque, et qui rêve tout haut à l’imitation de cet épisode italien, qui s’inspire à tort et à travers des réminiscences incomprises de l’antiquité, qui veut jouer au tribun du peuple avec le rochet épiscopal, et au sénat romain avec des procureurs ; petit Catilina qui aurait mérité d’être pendu et qui devait mourir tranquillement dans son lit, enveloppé de sa robe rouge, comme Sylla après son abdication.

La fronde avait encore eu un autre élément de succès ; elle s’était racontée et jugée elle-même. Non contens d’avoir parlé plus haut et ri plus fort que leurs adversaires, ses partisans avaient seuls écrit ses faits et gestes. L’autorité, satisfaite d’avoir prévalu, avait laissé le champ libre à tous les débordemens de mauvaise humeur littéraire que pouvait inspirer la défaite. Qu’importaient au rusé Mazarin les injures personnelles, pourvu que le vaincu payât et se résignât à l’obéissance ! Aussi, ses ennemis se vengèrent-ils avec usure, la plume à la main, de l’impuissance politique à laquelle ils étaient réduits, et personne n’ignore quelle admirable série de mémoires nous ont value leurs