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longues et mordantes rancunes. L’opinion a suivi, pendant près de deux cents ans, la voie tracée par eux. On ne s’est pas demandé si la réputation de la fronde n’était pas imméritée, si ses personnages n’étaient pas de pauvres acteurs, sous l’or de leurs vêtemens d’apparat, s’il y avait en elle véritablement quelque chose de ce qui constitue les grandes époques, et de nos jours un esprit distingué, M. de Sainte-Aulaire, n’a pas peu contribué, dans un intérêt de circonstance, à rajeunir cette partialité de si vieille date, en se fiant sans réserve au témoignage des contemporains.

Tous les travaux historiques de la restauration cachent, sous l’apparence d’une érudition purement littéraire, une arrière-pensée politique et une valeur de parti ; ils ont leur place marquée à droite ou à gauche et peuvent se diviser en deux classes, selon que l’auteur défend la réaction aristocratique ou les tendances régulières de la charte octroyée. L’Histoire de la Fronde, par M. de Sainte-Aulaire, appartient évidemment à la seconde catégorie. Les écrivains libéraux de l’époque s’armaient contre leurs ennemis des idées les plus étrangères au domaine de la polémique quotidienne, et en appelaient volontiers au passé des maximes absolutistes du présent. Ils aimaient à rechercher dans nos annales les traces oubliées d’une opposition vigoureuse aux empiètemens du pouvoir, et donnaient pour base à leurs arrêts de condamnation les obscures manifestations des communes du moyen-âge, ou l’éclatante résistance des parlemens. M. de Sainte-Aulaire n’a pas su mieux se préserver des entraînemens de l’opinion professée autour de lui, et il a prêté traditionnellement à la fronde les plus nobles couleurs. Il a fait rétrograder dans le passé le libéralisme des quinze ans, et il a grandi outre mesure les figures parlementaires de 1648 ; il a cherché à établir, peut-être sans s’en rendre compte à lui-même, une certaine assimilation entre l’attitude anti-ministérielle des cours royales de 1827 et les luttes de la magistrature contre la régence d’Anne d’Autriche, et il a instinctivement glorifié, dans la personne des conseillers du XVIIe siècle, les opposans du XIXe. Son livre, écrit avec toute la facilité d’un grand seigneur, n’est guère qu’un long et élégant plaidoyer inspiré par les Mémoires du cardinal de Retz et dirigé en fait contre les théories gouvernementales des royalistes quand même et des hommes d’état de la légitimité.

M. Bazin, qui a déjà abordé avec un talent si remarquable l’histoire du règne de Louis XIII, n’avait à subir aucune de ces exigences de parti qui pèsent, à leur insu, sur les hommes les plus indépendans dans les temps orageux. Né plus tard au monde historique, rien n’a contrarié la liberté de ses mouvemens. Il a marché d’un pas ferme sur le grand chemin de l’appréciation, promenant de droite et de gauche les hardiesses motivées de sa critique, et soufflant sans ménagement sur les versions les mieux accréditées. Il s’est plu à remonter le courant de l’opinion reçue, à renverser tout le brillant échafaudage des narrations contemporaines de la minorité de Louis XIV, à surprendre en flagrant délit d’inexactitude les coryphées de la révolte, transformés en chroniqueurs partiaux dans l’oisiveté des parlemens et des cours. M. Bazin, esprit froid et positif, mais absolu dans ses jugemens sur les