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un vœu concevable en théorie, mais sans application durable dans la pratique.

La destinée de Law fut de tous points bizarre. Cet homme qui avait rendu service à la France par des opérations suspectes de fraude fut, comme publiciste, utile à la science par des théories entachées d’erreur. Dégoûtés pour jamais des innovations, les hommes d’état s’enfoncèrent systématiquement dans l’ornière de la routine, et, jusqu’à la crise de 1789, vécurent au jour le jour des plus déplorables expédiens financiers. Mais, dans l’élite du public, l’attention demeura vivement excitée sur les phénomènes du crédit et sur l’importance des opérations commerciales. Les cercles littéraires s’applaudirent de trouver dans les problèmes d’économie sociale un texte de controverse en harmonie avec l’exaltation philanthropique de la philosophie régnante. Au premier rang des ouvrages en faveur desquels la vogue se déclara, il faut placer l’Essai Politique sur le Commerce, qui eut quatre éditions en peu d’années. L’auteur, Jean-François Melon, employé dans les conseils de la régence, et plus tard secrétaire particulier de Law, n’est toutefois qu’un bel esprit enclin au paradoxe et d’une médiocre pénétration. S’il déploie une certaine habileté de vulgarisation, c’est moins parce qu’il possède les secrets de la logique et de l’art d’écrire que parce qu’il sacrifie au mauvais goût pour se mettre à l’unisson des esprits vulgaires. S’agit-il, par exemple, de résumer l’histoire financière de la régence ? il emprunte le jargon allégorique des mauvais romanciers de son temps. Le bramine Elnaï (Law) veut faire le bonheur des habitans de l’île de Formose (les Français) ; père de la belle Panima (la banque), princesse douée d’une puissance magique, il la marie au prince des Formosans Aurenko (le régent) ; … etc. Cet épisode, imaginé sans doute pour égayer un sujet sérieux, peut donner une idée d’une Histoire allégorique de la Régence, qui fut le début littéraire de l’auteur. Ces niaiseries sont moins choquantes peut-être que certaines contradictions, certains paradoxes de Melon. Il se déclare pour la liberté du commerce dans l’intérêt du consommateur, et après un éloge de l’esclavage, il conclut la possibilité de son rétablissement en Europe. Il soutient que l’altération des monnaies, si fréquente et si funeste au moyen-âge, est licite et avantageuse, parce que cette mesure, étant profitable aux débiteurs, tourne au profit du gouvernement qui a toujours des dettes et du peuple lui-même, où les débiteurs sont toujours en plus grand nombre que les créanciers. Dans un chapitre sur l’industrie, un des plus piquans de l’ouvrage, il