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ESSAIS D’HISTOIRE PARLEMENTAIRE.

indignation sur ce factieux personnage. Il le présenta comme un misérable dépourvu de tout sentiment généreux et élevé, voué à l’odieuse tâche de semer la division entre les sujets du roi, blasphémateur de son Dieu, calomniateur de son prince, indigne d’appartenir à l’espèce humaine, avec qui il eût rougi d’entretenir aucune relation, et dont la condamnation aurait été pour lui un sujet de joie, si elle eût été régulière, s’il n’eût pas fallu l’acheter au prix des garanties de la liberté. L’énergie de ce langage, justifié par le caractère infâme des écrits de Wilkes, fait d’autant plus d’honneur à Pitt, que ce libelliste jouissait alors d’une grande popularité, et que plusieurs membres marquans de l’opposition n’avaient pas honte d’entretenir avec lui des rapports qu’ils jugeaient favorables au succès de leurs projets. La grande ame de Pitt ne pouvait se prêter à de telles capitulations avec ce qu’il méprisait, et, dans l’horreur que Wilkes lui inspirait, il eût craint de s’avilir, soit en lui donnant la moindre marque de sympathie, soit même en se bornant envers lui à ces molles désapprobations que les chefs de parti laissent parfois tomber sur leurs auxiliaires trop ardens, comme pour éviter tout à la fois de décourager leur zèle et d’en accepter la responsabilité.

Pitt eut encore, quelques mois après ; l’occasion de manifester d’une manière bien remarquable le sentiment qui lui avait dicté ces paroles sévères. Un ecclésiastique de province, qui, à ce qu’il paraît, n’avait qu’une connaissance très incomplète des dispositions des partis et des hommes d’état, lui avait écrit, comme au protecteur de Wilkes, pour lui offrir de faire élire son protégé membre de la chambre des communes par un bourg dont il prétendait pouvoir disposer, et pour solliciter la permission de lui dédier un livre consacré à démontrer les avantages de la rupture de l’union entre l’Angleterre et l’Écosse, thème favori du journal de Wilkes. Pitt, dans une réponse où son irritation lui permit à peine d’observer les formes polies qui lui étaient habituelles, protesta avec indignation contre la liaison étrange qu’on lui supposait, repoussa la pensée de séparer les deux parties de la Grande-Bretagne comme ne pouvant convenir qu’aux vues de la France, et autorisa son correspondant à donner à cette déclaration non équivoque toute la publicité possible.

Cependant le ministère, déconsidéré par ses fautes et atteint d’une impopularité toujours croissante, était d’autant plus ébranlé, que, comme je l’ai dit, il ne possédait pas la confiance du roi. Il était à peine formé, que ce monarque, le jugeant hors d’état de faire face aux difficultés de la situation, avait eu l’idée de le renverser et de rap-