Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 5.djvu/931

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
927
ARSÈNE GUILLOT.

de-Piété… Et puis, je me suis dit que si je me détruisais, ça lui ferait de la peine et que je me vengerais… La fenêtre était ouverte, et je me suis jetée.

— Mais, malheureuse que vous êtes, le motif était aussi frivole que l’action criminelle !

— À la bonne heure ; mais que voulez-vous ? Quand on a du chagrin, on ne réfléchit pas. C’est bien facile aux gens heureux de dire : Soyez raisonnable.

— Je le sais ; le malheur est mauvais conseiller. Cependant, même au milieu des plus douloureuses épreuves, il y a des choses qu’on ne doit point oublier. Je vous ai vue à Saint-Roch accomplir un acte de piété, il y a peu de temps. Vous avez le bonheur de croire. La religion, ma chère, aurait dû vous retenir au moment où vous alliez vous abandonner au désespoir. Votre vie, vous la tenez du bon Dieu. Elle ne vous appartient pas… Mais j’ai tort de vous gronder maintenant, pauvre petite. Vous vous repentez, vous souffrez, Dieu aura pitié de vous.

Arsène baissa la tête, et quelques larmes vinrent mouiller ses paupières. — Ah ! madame, dit-elle avec un grand soupir, vous me croyez meilleure que je ne suis… Vous me croyez pieuse… je ne le suis pas trop… On ne m’a pas instruite, et si vous m’avez vue à l’église faire un cierge… c’est que je ne savais plus où donner de la tête.

— Eh bien ! ma chère, c’était une bonne pensée. Dans le malheur, c’est toujours à Dieu qu’il faut s’adresser.

— On m’avait dit… que si je faisais un cierge à saint Roch… mais, non, madame, je ne puis vous dire cela. Une dame comme vous ne sait pas ce qu’on peut faire quand on n’a plus le sou.

— C’est du courage surtout qu’il faut demander à Dieu.

— Enfin, madame, je ne veux pas me faire meilleure que je ne suis, et c’est vous voler que de profiter des charités que vous me faites sans me connaître… Je suis une malheureuse fille… mais dans ce monde, on vit comme l’on peut… Pour en finir, madame, j’ai donc fait un cierge, parce que ma mère disait que lorsqu’on fait un cierge à saint Roch, on ne manque jamais dans la huitaine de trouver un homme pour se mettre avec lui… Mais je suis devenue laide, j’ai l’air d’une momie… personne ne voudrait plus de moi… Eh bien ! il n’y a plus qu’à mourir. Déjà c’est à moitié fait !

Tout cela était dit très rapidement, d’une voix entrecoupée par les sanglots, et d’un ton de frénétique qui inspirait à Mme de Piennes encore plus d’effroi que d’horreur. Involontairement elle éloigna sa chaise