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dire qu’elle crée le paysage : telle montagne qui ne vous a pas frappé par sa forme devient admirable quand les teintes violettes du soir commencent à se répandre sur ses sommets. Les cimes les plus ingrates, formées du calcaire le moins pittoresque, se transforment comme par enchantement sous les doigts dorés de Vesper. Cette transformation, dont on a chaque jour en Grèce le divin spectacle, est analogue à celle que la poésie a fait subir aux mêmes lieux ; elle n’a point changé leur forme, mais, en les éclairant, elle les a embellis, elle les a revêtus d’une éclatante splendeur.

Lumine vestit
Purpureo.

Le secret de l’art a été le même que celui de la nature ; l’un et l’autre montrent le paysage grec à travers un prisme qui l’idéalise. Le prisme de l’art s’appelle l’imagination, le prisme de la nature s’appelle la lumière.

Les poètes grecs trouvent, pour peindre l’éclat de leur soleil, des expressions étincelantes. Sophocle l’appelle celui qui embrase le ciel de resplendissans éclairs. En Grèce, la nuit a aussi sa lumière. Ailleurs, les étoiles répandent une obscure clarté. Il y a des clairs de lune, et dans le nord des apparences de lune (mondschein) ; toutes ces expressions sont pâles comme les astres qui les inspirent. Ici, le ciel se couronne d’étoiles resplendissantes ; la lune resplendit dans les vers des poètes comme dans l’azur du ciel. Ici, à Phébé, aussi bien qu’à son frère, les poètes donnent une couronne d’or. Pour les comprendre, il faut avoir vu, par une belle nuit de Grèce, l’or de ces rayons qui partout ailleurs sont des rayons d’argent. Il n’y a que la lune des poètes italiens qui ressemble à celle des poètes grecs, cette lune d’Italie plus brillante que le soleil du Nord, comme a dit Goethe après Caraccioli, et qui a inspiré à Dante ces vers d’un si grand éclat et d’une si magnifique sérénité :

Tra i pleniluni sereni
Come Trivia ride fra le nimphe eterne.

Encore un rapport entre la nature de la Grèce et la poésie qu’elle a inspirée. Les anciens ne s’élèvent jamais à cette abstraction pittoresque, si je puis ainsi parler, qui caractérise à grands traits la physionomie d’un pays tout entier ; rien chez eux qui ressemble à la description des régions tropicales par Bernardin de Saint-Pierre, des savanes par Buffon, et à la sublime peinture de la campagne romaine par M. de Chateaubriand. Ce sont là des beautés, il faut en convenir.