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que les anciens n’ont pas connues. En fait de descriptions, ils se bornent en général à une indication précise, rapide, résumée dans une épithète expressive. Du reste, ils préfèrent les détails à l’ensemble ; c’est sur un détail qu’ils s’arrêtent avec complaisance, et qu’ils épuisent la magie de leur pinceau. Ils sont à mille lieues du panorama ; ils ne traitent pas même le grand paysage historique ; leurs descriptions partielles sont comme ces études que les peintres font d’après nature, seulement ces études sont des modèles achevés. Ils aiment à représenter un rocher, une grotte, un arbre auprès d’une fontaine. Quelques vers leur suffisent pour donner un sentiment complet de tout ce qui fait le charme de leur pays : la beauté de la solitude, des arbres, des eaux, la douceur de l’ombre sous un ciel brûlant ; tout cela peut se trouver exprimé et comme concentré dans un vers de l’Iliade ou dans une petite pièce de l’Anthologie. La nature procède encore ici comme l’art a procédé, elle vise plus au détail qu’à l’ensemble. Telle chaîne aride renferme des vallées et surtout des parties de vallées délicieuses. Qu’un filet d’eau coule entre les âpres sommets de l’Argolide, et ce filet d’eau qui s’appelle l’Inachus (son nom ne gâte rien à ses bords) fera naître un oasis de myrtes et de lauriers-roses. Au milieu des campagnes stériles de l’Attique, au sein des gorges de la Phocide, il suffira de quelques oliviers, de quelques pins, de quelques lentisques, d’un beau platane pour créer dans un coin du paysage un petit tableau qui sera complet comme une comparaison d’Homère. En somme, ce qu’il y a de plus beau dans la nature de la Grèce, ce sont les accidens et ce qu’on pourrait appeler les épisodes. Ne sont-ce pas les accidens que les poètes grecs excellent à peindre ? Quel charme ont les épisodes dans l’Iliade et l’Odyssée !


II.
EXACTITUDE PITTORESQUE DES POÈTES GRECS.

En employant des moyens si simples et un procédé si peu ambitieux, les poètes grecs sont parvenus à caractériser les diverses parties du pays qu’ils habitaient, avec une fidélité dont le voyageur est encore aujourd’hui frappé. C’est surtout chez Homère qu’on admire cette fidélité merveilleuse. Strabon invoque sans cesse l’autorité du chantre d’Achille et d’Ulysse ; pour lui, le grand poète est aussi un excellent topographe. Il est curieux de suivre cette vérification de la poésie homérique depuis le géographe ancien jusqu’aux voyageurs