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Qu’on en juge.- Don Juan aime Claudia, la femme de son frère don Sanche, et la séduit. Sanche découvre sa mésaventure, et se fiche ; vous en eussiez fait autant. Les deux frères vont se battre, lorsque Claudia intervient assez mal à propos, car don Juan, sans le vouloir, à ce qu’il paraît, par un simple coup de maladresse, la tue ; Sanche meurt aussi ; Leporello chante un mauvais couplet, et don Juan, ramassant son épée, s’en va. Voilà tout le poème dramatique de M. Arthur de Gobineau, Cousin d’Isis. Vous ne connaissez pas les cousins d’Isis ? Ils sont une demi-douzaine qui ont pris ce nom, après avoir mis leur talent en commandite et s’être promis de partager fraternellement les profits de leur gloire. C’est une petite franc-maçonnerie littéraire, une sorte de table-ronde poétique, autour de laquelle, comme on vient de le voir, on n’est pas toujours tenu à des frais d’invention, ce qui ne veut pas dire que les cousins d’Isis n’inventent quelquefois ; mais sans doute qu’aujourd’hui ce n’était pas le tour de M. de Gobineau. Ou bien, est-ce que le commandeur se serait trompé ? est-ce qu’au lieu de porter la main sur don Juan, il aurait touché le jeune poète et lui aurait causé une telle frayeur, que celui-ci aurait momentanément perdu l’usage de son imagination et de son style ? On serait tenté de le croire à la lecture des Adieux, quoique M. de Gobineau ait un bon moment, à la fin, dans une complainte qui suit ce drame, lorsqu’il s’écrie à propos de certains poètes qui se sont attaqués à Don Juan :

Ils auraient mieux fait de se taire.

C’est l’auteur des Adieux qui dit cela. Un cousin d’Isis doit s’y connaître, et nous passons condamnation.

L’auteur des Éphémères n’appartient à aucune loge littéraire, au moins il ne l’affiche pas au frontispice de son livre. Son recueil est pourtant assez agréable. M. .Michel Pallas s’annonce modestement, et il donne à ses poésies un titre qu’elles ne méritent pas tout-à-fait. Il y a de l’élévation par endroits dans ce volume, des élans d’un vrai lyrisme, et le vers y est d’une correction presque irréprochable. Le morceau intitulé Quinze ans est touchant et plein de grace. Lorsque M. Michel Pallas est sous le coup d’une émotion vraie et profonde, il réussit assez bien à être lui-même ; mais dès qu’il se contente d’une demi-émotion, sa poésie emprunte, et alors elle offre un mélange reconnaissable, quoique assez savamment combiné, de M. de Parny et de M. de Musset. L’amour fait en entier les frais des Éphémères. J’ignore si l’auteur est un tout jeune homme ; cependant, à de certains traits, on croit reconnaître un homme mûr attardé dans les sujets amoureux. — Si l’on s’amusait à réunir tous les vers qui depuis vingt ans seulement ont été inspirés par l’amour, et qu’on voulût offrir un sacrifice en les brûlant sur l’autel de la bonne déesse, il faudrait plus d’un chariot pour les transporter, et il y aurait un vaste incendie.

Le Simple Recueil, de M. Alfred Meilheurat, arrive de Moulins par le même