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fin, en s’appliquant à l’univers au sein duquel l’humanité n’est qu’un phénomène, lui fait concevoir aussi que cet univers en a une, et comme la partie ne saurait être contradictoire au tout, que la fin de l’humanité doit concourir à cette fin totale, n’en être qu’un élément et par conséquent avoir en elle sa raison et son explication dernière. Ainsi, par un mouvement irrésistible, la pensée s’élève de l’ordre individuel à l’ordre social, de l’ordre social à l’ordre humain, et de l’ordre humain à l’ordre universel. Là seulement elle peut s’arrêter, parce que là seulement elle rencontre le dernier mot de l’énigme qui la tourmente, la dernière raison des phénomènes dont elle cherche le sens. Mais je me trompe, messieurs, elle va plus loin encore, et elle doit le faire. L’ordre universel lui-même n’est qu’une loi, loi suprême, il est vrai, qui résume toutes les autres et qui contient la raison dernière de tous les phénomènes, mais qui dans l’ordre ontologique n’est encore qu’un fait et présuppose un être intelligent qui l’ait conçue et par conséquent réalisée. En d’autres termes, l’ordre universel suppose l’ouvrier universel dont il est tout à la fois la pensée et l’œuvre. L’intelligence humaine va donc jusqu’à Dieu, et là elle se repose, parce que là enfin elle trouve la source de ce fleuve immense que l’inflexible logique des principes qui la gouvernent l’oblige de remonter. Dieu trouvé, l’aspect de l’univers change, l’ordre devient la providence, et les mille rameaux de la loi universelle deviennent les mille résolutions de la volonté et la sagesse divine. L’ame humaine échappe avec joie à l’empire de l’inflexible fatalité, et se range avec bonheur sous celui de la sagesse et de la bonté de Dieu. Les rapports paternels du Créateur à la créature succèdent aux rapports sévères de la loi et du sujet, et la question suprême et dernière qui était de savoir quel rôle joue la destinée de l’espèce humaine dans la destinée totale de l’univers, revêtant des formes plus consolantes, devient celle de savoir quels sont les desseins de Dieu, c’est-à-dire d’un être souverainement sage et bon, sur l’homme, c’est-à-dire sur un être faible par son pouvoir, mais semblable à lui et supérieur à tout le reste par le don de l’intelligence[1]. »

La politique n’a jamais été la première pensée de M. Jouffroy, non qu’il fût indifférent aux grands intérêts de la société ; c’eût été l’être aux intérêts de la justice et de la vérité, et rien ne serait moins philosophique. Il aimait la France, et il s’inquiétait du rôle de son pays

  1. Méthode pour résoudre le problème de la destinée humaine. — Premiers Mélanges, p. 466.