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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 10.djvu/1022

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renferme. Une dissertation sur le ministère de M. Canning et sur le caractère de lord Wellington vient étrangement après une conversation d’amour, et j’aime peu les argumentations socialistes interrompant les hymnes catholiques que chantent Sybil et son père au milieu des tombes d’un cimetière agreste. Il y a là un mélange d’affaires de cœur et d’affaires de portefeuille, de ministères et de clair de lune, de tendresses rêveuses et d’intrigues politiques pour lequel je n’ai aucun goût. L’intérêt d’une nation, quelque grand qu’on le suppose, disparaît toujours à côté de la moindre douleur de l’ame humaine ; cet être idéal, une race, un parti, une masse d’hommes, n’a pas beau jeu à côté de la passion individuelle ; gardez-vous de placer ces deux intérêts vis-à-vis l’un de l’autre. En face de Byzance qui s’écroule ou de Rome pillée par Alaric, je suis moins attendri que si je vois Virginie dans les flots, Bidon sur le bûcher, ou Geneviève de Brabant dans ses forêts. Il ne me souvient pas qu’une seule peinture de la vie politique m’ait frappé d’un autre sentiment que d’admiration ou d’horreur, et je serais d’avis de traiter sérieusement, sans mélange romanesque, des choses aussi graves que le sont les destinées d’un pays. L’érudition de Gibbon ou la sévère méditation de ce Montesquieu que la postérité placera à la tête de tout le XVIIIe siècle ; voilà, n’en déplaise à M. d’Israëli, ce qu’il faut à de telles matières ; le point limitrophe qu’il a voulu occuper, entre la satire, le pamphlet et le roman, nous semble dangereux, surtout pour sa renommée.

On a beaucoup répété que la tentative était nouvelle ; rien de moins exact. Cette assertion prouve que nous sommes peu au courant de ce qui se passe en littérature. L’exemple des peintures amères et vives empruntées à la vie politique a été donné dernièrement par Peacock, Horne, Galt, par l’auteur anonyme du roman-poème dErnest, et même par Litton Bulwer, moins coloré, mais bien autrement incisif que M. d’Israëli. Miss Martineau en est à son huitième ou neuvième volume de romans politiques, auxquels ne manquent ni les émeutes d’ouvriers, ni les scènes de clubs et de fabriques, ni les incendies de châteaux ; je ne doute pas que le dernier ouvrage de cette demoiselle, the Hour and the Man, déification fantastique d’un bon nègre qui a commandé je ne sais quelle révolte dans l’île d’Haïti, n’ait servi de prototype à l’auteur de Coningsby et de Sybil. Quant aux portraits d’hommes vivans, aux personnalités transparentes et aux hardiesses aristophaniques, rien n’est plus commun en Angleterre depuis Swift ou avant Swift jusqu’au malin Thomas Moore ; il n’est pas besoin de citer chez nous Palissot, les Actes des Apôtres, ou,