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Cependant çà et là les faunes et les dryades vous rappellent que vous foulez le sol sacré :


« Lorsque je vais au bois avec ma belle, les faunes nous lorgnent par tous les buissons, et leurs flûtes à sept roseaux résonnent du plaisir qu’ils ont à contempler ma brune. Puis, si nous descendons au rivage, les tritons embouchent de joie leur trompette marine. »

Mais bientôt la coquetterie familière au poète reprend ses droits ; Dorat se montre sous Pétrarque ; il y a de l’un et de l’autre chez Rückert :

« Amour bondit à ma rencontre, une torche embrasée à la main : — Ta maîtresse, s’écrie-t-il, m’envoie par le pays à ta recherche ; elle ne peut se passer de toi, si j’ai bien compris, et, comme son regard ne va point assez loin pour t’atteindre, j’ai promis de te toucher au cœur de ce flambeau allumé au soleil de ses yeux. »

Les Siciliennes de Rückert nous reportent involontairement aux Épigrammes de Venise, ce chef-d’œuvre de la rêverie au sein du far niente, cette inspiration mi-partie antique et moderne, où les réalités contemporaines coudoient sans vous choquer les idéales imaginations de la fable. Le laisser-aller du grand poète a séduit Rückert ; mais, dans les Siciliennes, je ne vois que la grace, une grace un peu mêlée d’afféterie ; le côté philosophique élevé manque. Goethe en veut aux onyx, aux agates, aux marbres de toute espèce ; Rückert, en Sicile, se contente de cueillir des fleurs. Qu’on ne s’y trompe pas, le trait est significatif. J’ajouterai que la flore poétique de ce terroir volcanisé ressemble souvent trop à celle d’Allemagne, témoin la pièce suivante, qui, tout agréable du reste, me fait moins songer aux campagnes de l’Etna qu’au jardin du Neckar.


« Fleur de l’amandier ! tu voles au-devant du printemps et disperses au vent ta poussière embaumée sur les sentiers que mon pied va fouler !

« Gentille clochette ! de la neige qui s’est enfuie des campagnes, tu es restée comme un flocon !

« Douce violette ! tu demandes quand viendra la rose ! Tant mieux qu’elle vienne, mais toi, demeure encore un peu !

« Lis splendide ! les fleurs accomplissent au champ un devoir divin, et vous, dans la famille, vous êtes le prêtre !

« Tige de lis, non, tu n’es pas faite pour orner un bouquet ; les anges de Dieu seuls te portent dans leurs mains ! »


Un mot sur ces quatrains dont je viens de parler et qui forment dans les poésies de Rückert le passage de l’Occident à l’Orient. Qu’on se figure une strophe concise, nette, ciselée à ravir, une cassolette de