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l’exception des possessions qu’elles avaient avant cette dernière guerre, savoir : Madras, le fort Saint-George et Devi-Cottah aux Anglais ; Pondichéry, Mahé et Karikal aux Français ; 3° que les possessions des deux compagnies seraient mises sur un pied d’égalité parfaite, et que, si celles des Anglais dans le royaume de Tanjore et le Karnatik excédaient celles des Français dans les mêmes provinces, ceux-ci en seraient indemnisés. Le district de Mazulipatam serait partagé entre les deux compagnies. Enfin, les Français ne renonçaient pas seulement aux quatre grandes provinces de la côte du nord cédées à Bussy par le soubab du Dekhan, ils consentaient à n’y avoir que des comptoirs en même nombre que ceux qui y seraient établis par les Anglais[1].

Après la conclusion de ce honteux traité, Godeheu retourna en France. Aucune justice n’y avait été rendue à Dupleix. Il se soutint quelque temps avec les débris de sa fortune ; il vécut long-temps sur l’espoir de se voir rembourser les millions qu’il avait appliqués aux besoins de la guerre, mais on ne les lui rendit jamais. Vainement il publia de volumineux mémoires ; hérissés de comptes et de calculs, ils furent peu lus ; ils n’avaient pas l’intérêt romanesque des factums de La Bourdonnais. D’ailleurs on s’intéressait peu à son sort ; la fausse sensibilité du jour ne voyait en lui qu’un homme dur, un être peu sentimental, qui n’en appelait pas dans sa défense aux grands mots de nature et de philosophie, mais qui se bornait à prouver brutalement qu’il avait voulu agrandir, enrichir et glorifier la France. Cela importait peu aux salons du XVIIIe siècle ; on s’y moqua des projets avortés du gouverneur de l’Inde, on ne voulut pas même croire à leur réalité, on en fit des contes moraux et des opéras-comiques. Le chevalier de Boufflers, l’homme à la mode, s’était agréablement raillé de tous ces rêves de grandeur asiatique : il avait fait d’une petite laitière une reine de Golconde. Désabusée du trône, la laitière avait préféré revoir sa ferme pour y vivre gaiement et sans souci. La France de Louis XV ressemblait, en effet, à cette héroïne. Un instant reine des Indes, elle avait mieux aimé retourner à ses petits soupers et à ses légères amours.

Dupleix était trop grand pour une telle époque ; il devait en être victime, et il le fut. Après neuf ans (1754 à 1763) d’espérances trompées, de démarches incessantes, mécomptes successifs terminés par une ruine totale, il mourut pauvre, et sa veuve sollicita vainement

  1. Voyez l’ouvrage de M. Barchou de Penhoën. Cet historien rapporte que le colonel Wilkes dit à l’occasion du traité Godeheu : Jamais nation n’a fait d’aussi grands sacrifices à l’amour de la paix que les Français dans cette circonstance.