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d’évènemens lointains, je pense toujours que le mieux est de vous aller chercher. Je risquerai de vous parler beaucoup de Montesquieu ; car dans un gîte on rêve, et vous m’y avez encouragé. C’est pour moi le voyage de Rome. J’y profite peu ; mais c’est une façon de jouir que de voir combien les hommes ordinaires de notre temps, tant maudit et même avec justice, voient nettement de bonnes choses que les hommes supérieurs d’un temps très peu ancien ne voyaient que très obscurément. Cela me fait enrager d’être vieux. Il vaudrait mieux s’en consoler ; mais chacun tire de ses méditations le fruit qu’il peut ; et cela dépend de l’arbre sur lequel elles sont greffées. Le mien est bien sauvageon ; celui de l’amitié est le seul qui porte des fruits toujours doux, disent les Orientaux, et ils ont raison. »


Ne croit-on pas sentir sous ce ton un peu bref, un peu saccadé, et à travers ce sourire du grondeur, le contraste d’un esprit ferme et même rigoureux qui s’allie avec la sensibilité de l’ame ?

Au sein de tant de relations si fructueuses pour l’intelligence comme pour le cœur, au milieu des profonds travaux de divers genres que Fauriel poursuivait et qui bientôt vinrent tous concourir et aboutir dans sa pensée à l’histoire, un premier épisode littéraire se détache, la traduction de la Parthénéide de Baggesen, qu’il publia en 1810. Pour l’ensemble de ses études secrètes, Fauriel n’avait à suivre que sa pente naturelle et l’inspiration même qui lui venait, lente et puissante, en présence des choses ; mais, pour se décider à mettre la dernière main et à publier, il lui fallait presque toujours le stimulant de circonstances accidentelles et le désir surtout de complaire à l’amitié. C’est ainsi qu’il fit plus tard en introduisant parmi nous les deux tragédies de Manzoni ; c’est ainsi qu’il fit d’abord pour la Parthénéide de Baggesen.

Cette traduction, précédée d’un Discours préliminaire très remarquable, parut, après bien des retards et des ajournemens, dans l’été de 1810 ; c’est le seul ouvrage proprement dit que Fauriel ait publié.avant l’époque de la restauration, et, fidèle à son rôle modeste, il le publia sans même se nommer. L’introduction pourtant mérite de Compter dans l’histoire de la critique littéraire en France.

L’auteur de cette Parthénéide ou Parthénaïs, Baggesen, poète danois des plus distingués, l’avait composée en allemand et avait su heureusement lutter en cette langue étrangère avec la Louise de Voss, avec l’Hermann et Dorothée de Goethe ; son charmant poème donnait la main aux leurs pour compléter le groupe pastoral. Baggesen était personnellement un caractère plein de saillie, d’imprévu, et d’une bizarrerie qui ne devait pas déplaire ; il avait parfois dans l’esprit une