Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 10.djvu/688

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

seule exception se présente à cette loi générale. Dans une branche de mathématiques, un homme, au XVIIe siècle, était plus avancé qu’on ne l’est aujourd’hui. Cet homme savait des choses que nous ignorons ; pour l’atteindre, il faudrait des méthodes plus perfectionnées que celles qu’on a inventées depuis. En vain les plus beaux génies s’y sont exercés ; en vain Euler, Lagrange, ont redoublé d’efforts ; un seul homme jouit du privilège unique de s’être avancé plus loin que ses successeurs, et cet homme, c’est Fermat.

Un tel fait suffirait pour établir sa gloire, mais il ne suffit pas pour montrer l’importance de ses travaux. Ce grand géomètre ne s’est pas borné, sur un point particulier, à pénétrer dans des régions où nul jusqu’ici n’a pu le suivre ; il a contribué activement aux plus mémorables découvertes mathématiques des temps modernes et les juges les plus compétens ont déclaré que Fermat était le véritable inventeur de ces nouveaux calculs qui ont changé la face de la science.

Il n’est pas nécessaire d’être un profond mathématicien pour savoir que Newton et Leibnitz sont deux des plus puissans esprits qui aient honoré l’humanité. L’un, l’orgueil de l’Angleterre, a su dérober à la nature le plus imposant de ses secrets, et faire connaître aux hommes les lois éternelles qui règlent le cours des astres et qui établissent l’équilibre du monde ; l’autre, s’emparant de tous les sujets et les fécondant tout à tour, a laissé dans la philosophie, dans l’histoire, dans les mathématiques, dans la philologie, l’empreinte de son génie prodigieux. On ne connaît que trop la rivalité qui divisa deux hommes si dignes de s’admirer mutuellement. Ils se disputèrent la découverte du calcul infinitésimal, instrument puissant, source des plus brillans progrès que les mathématiques aient faits dans les derniers temps, de ce calcul sans lequel Newton n’eût pu expliquer le système du monde, et qui fit pendant si long-temps la force de l’école de Leibnitz. Chacun d’eux avait fait probablement cette découverte, mais les savans anglais ne voulurent pas reconnaître les droits du grand géomètre allemand. Un jugement de la Société royale de Londres (jugement que la postérité n’a pas ratifié) essaya de porter atteinte à l’honneur de Leibnitz, et le taxa de plagiat. Toute l’Europe prit part dans cette querelle, et Leibnitz répondit à cette injuste sentence en fondant une école qui pendant un siècle éclipsa celle de Newton.

De tels hommes ne sauraient combattre que pour la plus glorieuse des couronnes et cette lutte, qui devint celle du continent contre l’Angleterre, doit faire comprendre même aux personnes le plus étrangères aux sciences, quelle est l’importance de ce calcul différentiel