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voulu agir autrement, il eût tout brisé. On l’a calomnié étrangement ; de son temps, on voulait l’assassiner. Comment aurait-il échappé à ces deux espèces de poignard ? ce n’est pas chose facile de gouverner après les révolutions. Guillaume III fut assassiné cinq fois. Les haines vaincues, les partis battus, les regrets avides, les souvenirs impuissans, ont quelque chose d’inexorable. Entre les jacobites dépossédés et les libéraux extrêmes, Robert, déchiré en mille pièces et soutenu par des rois médiocres, mais entêtés, régna vingt-cinq ans. Il fallait assurément, pour arriver là, du caractère et du courage.

Entrons d’abord, avec Horace, dans cette vie de son père écrite par le périodique et lourd archidiacre Coxe, comme s’il eût fait la vie d’un saint. On verra tout à l’heure qu’il y a bien à rabattre de la légende, mais qu’il faut aussi beaucoup ajouter. Les grands évènemens sont connus et nous ne les retraçons pas ; on sait que le parlement, la bourgeoisie et l’aristocratie, réunis sous la bannière protestante, dominaient, au commencement du XVIIIe siècle, l’Angleterre, dont le catholique Jacques II s’était fait bannir. Personne n’ignore que le stathouder Guillaume III, après avoir victorieusement et tristement occupé ce trône épineux du calvinisme, le céda en mourant à la reine Anne, protestante comme lui. Les intrigues du prétendant Stuart, la division du parti whig et du parti tory, sont des faits connus de tout le monde. Ce fut dans ces circonstances que Robert, destiné à gouverner deux rois et vingt-cinq années, naquit dans un vieux manoir de campagne.

Il était, comme bien d’autres célébrités anglaises, Normand de race, et descendait en ligne directe d’un Reginald qui escorta le conquérant et vint s’établir à Walpole, dans le Lincolnshire. « On me l’a représenté, dit Horace, comme un garçon indolent qui détestait les livres et se faisait des amis au collége. » Lord Bolingbroke, son condisciple et son rival, recherchait au contraire toutes les distinctions à la fois et trouvait des ennemis ; vif, ardent, intelligent, d’une compréhension prompte et facile, d’une ambition qui marchait à découvert et ne prenait pas la peine de se voiler, il effrayait en séduisant. Ces deux hommes ne mentirent pas à leurs promesses. L’un eut plus de gloire, l’autre plus de succès ; Bolingbroke l’infatigable brilla comme homme du monde, écrivain, orateur, chef de secte, et donna le mouvement aux philosophes du XVIIIe siècle ; Walpole, souvent malade et se régénérant dans les rechutes successives d’une santé qui s’établissait par des crises, fit peu de progrès dans ses études classiques, n’y prit aucun goût, se renferma dés l’origine dans la pratique de la