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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/1007

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du service public est la considération dominante et exclusive. Choisir le plus capable, c’est-à-dire le plus savant, si la science est requise ; le plus ferme, si l’énergie du caractère est nécessaire ; le plus vigoureux, s’il s’agit de fatigues à supporter ; le plus discret, si l’imprudence doit être un danger ; donner à chaque poste l’homme qui lui convient le mieux, approprier l’âge, le caractère, les mœurs, l’esprit de chacun aux nécessités de l’emploi, voilà le devoir de celui qui nomme, devoir complexe, délicat, à l’accomplissement duquel on ne peut apporter trop d’attention pour éviter les surprises, trop de volonté pour déjouer les intrigues, trop de désintéressement pour résister aux obsessions de la parenté et de la camaraderie. A quels principes sera soumis l’exercice de ce pouvoir ? quelle part sera faite à la règle, quelle part au pouvoir discrétionnaire ? Ces questions ne peuvent guère être résolues en termes absolus, et les solutions les plus contraires ont été proposées. Les uns soutiennent que le droit de nomination aux emplois doit être entièrement abandonné à la responsabilité ministérielle, ils l’érigent en attribut nécessaire de la couronne, ils le proclament comme une de ses principales prérogatives. Les autres, au contraire, veulent exclure tout arbitraire, soumettre tous les choix à des dispositions de rigueur, et créer au profit des fonctionnaires un droit absolu. Ces théories opposées nous paraissent également excessives et inapplicables.

Prétendre que le droit de nommer aux emplois publics a été attribué à la couronne pour étendre son patronage, pour agrandir son influence et son autorité, c’est contredire l’esprit de notre révolution, qui repousse les privilèges, exclut la faveur et consacre les droits du talent et de la capacité. Cette opinion prévaut, on ne le sait que trop, dans les plus hautes régions du pouvoir : elle se laisse voir chaque jour dans ses conséquences les plus regrettables, elle contribue à accroître démesurément le nombre des emplois, au grand détriment du service et des fonctionnaires eux-mêmes ; mais de tels abus, loin de la justifier, en sont la plus formelle condamnation, et toutes les lois, tous les actes de la puissance publique qui ont restreint ce droit dans les divers services que nous avons désignés, prouvent suffisamment qu’il peut être limité sans violer la constitution. Il n’est pas plus vrai que le principe de la responsabilité des ministres implique la faculté de disposer en toute liberté des emplois publics. Combien n’abuse-t-on pas du principe de la responsabilité des ministres ! Si l’on acceptait certaines théories, aucun régime ne serait plus despotique que notre régime de liberté. On dit que toute règle est étroite,