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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/1008

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aveugle, fatale, et que l’intérêt public n’a pas de juge plus compétent, d’appréciateur plus éclairé, qu’un ministre qui peut faire la part des nécessités de toute sorte selon les temps et les lieux, mesurer le mérite, peser les circonstances et tenir une balance impartiale entre des prétentions sans nombre. Nous n’avons besoin de contester ni le caractère ni le talent des ministres et de leurs délégués ; nous les tenons tous, si l’on veut, pour sages et éclairés, mais nous voudrions, avant de leur remettre l’arbitraire, être assurés qu’ils auront toujours le loisir d’en user avec discernement, le courage de résister aux influences illégitimes qui les assiègent, et qu’ils ne seront jamais ni hommes de partis, ni parens aveugles, ni amis complaisans. Qu’on nous donne cette assurance, et nous tenons l’arbitraire ministériel pour le plus heureux des régimes. En vain prétend-on que la responsabilité est une garantie suffisante : descend-elle jamais à ces obscurs détails ! et combien de fautes lui échappent, s’il en est qu’elle empêche ! Voyez les faits ; observez dans sa marche le gouvernement constitutionnel. Supposez un ministère en possession d’une majorité, non pas faible, disputée, composée à grands efforts d’ambitions séduites ou de cœurs défaillans, mais convaincue, décidée, sympathique, comme le comporte le gouvernement parlementaire dans son état normal, et voyez à quoi se réduit la garantie de la responsabilité ministérielle, appliquée aux intérêts secondaires. Une pensée politique dominante absorbe toutes les autres questions et ne laisse plus de place à aucune contradiction de détail. Imaginez, pour ne pas sortir de notre sujet, un débat s’engageant sur une nomination qui sera condamnée par l’opposition. La majorité dédaigne cette mesquine attaque, défend de prononcer des noms propres et n’a pour s’éclairer que la parole amie d’un ministre qu’elle soutient. Admettons pourtant que, dans une circonstance spéciale, le scandale ait été assez grand pour déconcerter le parti du gouvernement, pour braver les scrupules de la tribune, pour exclure toute dénégation, ne demeurera-t-il pas encore impuni ? et combien d’autres échapperont à tout contrôle et, pour avoir moins irrité l’opinion, auront été également dommageables au service public !

Ce n’est donc ni au nom de la prérogative royale ni au nom de la responsabilité ministérielle que l’on peut condamner les règles destinées à présider à la distribution des emplois, mais ce n’est pas non plus au nom du droit des fonctionnaires qu’elles peuvent être défendues. Les fonctionnaires n’ont aucun droit fondé sur leur intérêt privé, s’il ne se lie étroitement à l’intérêt public. L’état leur doit sa