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protection, sa sollicitude, mais il est tenu en premier ordre de veiller au service public dont ils ne sont que les instrumens.

Le problème consiste à concilier dans une juste mesure la règle et l’arbitraire, de manière que, loin de se détruire, ils se prêtent un mutuel secours, que la règle corrige l’arbitraire et l’arbitraire la règle. Or, les termes de la question se modifient selon l’importance des emplois et la nature des services. Essayons d’indiquer les principes les plus généraux de cette grave matière.

Certaines fonctions résistent par leur nature à toutes conditions explicites d’aptitude, et l’accès en doit être entièrement libre. Ce sont les fonctions politiques, celles qui se lient à la marche même du gouvernement, à ses rapports avec les pouvoirs parlementaires. Il est nécessaire que les ministres soient entourés d’hommes qui s’unissent intimement à eux, qui partagent leurs idées et leur fortune, et qui, élevés au pouvoir par le même succès, doivent en descendre par une chute commune. C’est un secours et une force pour un cabinet, et l’intérêt qu’ont les ministres à ne point se donner des auxiliaires qui seraient dépourvus de talent ou privés d’influence ne permet pas de craindre que les postes ainsi donnés ne tombent dans des mains, incapables. Il faut seulement éviter de placer dans cette catégorie des emplois qui exigeraient des connaissances techniques et une expérience pratique dont manqueraient les élus de la politique.

La règle n’est jamais qu’une garantie contre l’abus, et elle est toujours une entrave ; elle ne doit donc pas exercer son empire dans les cas où l’abus est peu probable et où le pouvoir a besoin d’une grande latitude. Cette réflexion s’applique aux situations les plus élevées de l’administration. Les conditions d’aptitude y doivent être ou nulles ou établies en termes très généraux. Il y a deux raisons pour qu’il en soit ainsi. F abord l’importance du titre est en elle-même un obstacle à des promotions qui ne reposeraient que sur la faveur : de telles promotions sont publiques ; elles excitent vivement l’attention, elles touchent toutes les ambitions rivales, souvent aussi jalouses que puissantes, et l’opinion publique s’en préoccupe avec ardeur. En second lieu, il faut dans les premiers rangs du service public des qualités que ne donnent point la routine et la simple pratique des affaires, l’étendue de l’esprit, la justesse du coup d’œil, des connaissances générales et approfondies, le talent de conduire les hommes. On ne trouverait pas toujours à satisfaire à ces conditions par des choix hiérarchiques. Les fonctions supérieures sont celles qui exigent le moins de science pratique. Il est de l’intérêt de l’état que les hommes