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profitais pas de la bonté que vous avez de vouloir bien condescendre à ma faiblesse et m’apprendre des vérités si sublimes presque en badinant. J’aurai toujours par-dessus vous l’avantage d’avoir étudié avec le plus profond et en même temps le plus aimable mathématicien du monde. »

Ainsi elle mêlait l’étude au sentiment et au plaisir, et Voltaire, sous le charme de l’amour qu’elle lui inspirait, lui adressait alors ces vers :


CONTRE LES PHILOSOPHES SUR LE SOUVERAIN BIEN

L’esprit sublime et la délicatesse,
L’oubli charmant de sa propre beauté,
L’amitié tendre et l’amour emporté,
Sont les attraits de ma belle maîtresse.
— Vieux rêvasseurs, vous qui ne sentez rien,
Vous qui cherchez dans la philosophie
L’Être suprême et le souverain bien,
Ne cherchez plus, ils sont dans Uranie !

C’est au milieu de ces enchantemens de l’amour que la publication des Lettres philosophiques obligea Voltaire de s’éloigner de Paris pour échapper à la persécution. Il partit pour la Champagne et se retira au château de Cirey, propriété du marquis du Châtelet depuis longtemps inhabitée. Durant cette première et courte séparation, la correspondance des deux amans fut fort active[1]. Après quelques arrangemens d’affaires de famille et de société, Mme du Châtelet alla rejoindre Voltaire à Cirey.

Entre deux coteaux, dans le département de la Haute-Marne, se cache le riant village de Cirey, bâti sur la lisière d’un bois ; la Blaise, petite rivière, l’arrose en courant et baigne de nombreuses prairies. Les templiers possédaient à Cirey une commanderie dont il reste encore quelques vestiges. Après la condamnation des templiers par Philippe-le-Bel, le duc de Lorraine, pour obéir au pape, leur enleva leurs biens de Cirey, qu’il réunit au domaine de Ferry-d’Enfer ou du Diable, son frère et son Vassal, et laissa seulement ceux qu’il avait dépossédés

  1. Rien n’est resté de ces lettres intimes. « Mme du Châtelet, dit l’abbé de Voisenon dans ses Anecdotes littéraires, avait huit volumes in-4o et bien reliés des lettres que Voltaire lui avait écrites. On ne s’imaginerait pas que dans des lettres d’amour on s’occupât d’une autre divinité que celle dont on a le cœur plein, et qu’on fît plus d’épigrammes contre la religion que de madrigaux pour sa maîtresse. Voilà pourtant ce qui arrivait à Voltaire. »