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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/1024

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vivre et mourir sur leurs anciennes terres. Pour protéger son domaine ainsi augmenté, Ferry fit construire en 1220 à Cirey même un petit château-fort ou chastelet parfaitement gardé et armé, puis il ajouta à ses autres titres celui de seigneur du Chastelet. Telle est l’origine de la famille du Châtelet. Depuis ce moment, elle ne cessa de s’allier aux premières maisons de l’Europe.

Les bâtimens du château de Cirey sont gracieusement groupés sur le penchant d’une des collines boisées au pied desquelles serpente la jolie rivière, où se baignaient de beaux cygnes. Ces bâtimens se divisent en deux parties, les constructions féodales et gothiques désignées sous le nom de vieux château et servant de communs, et le château neuf élevé sous la régence, vaste et simple maison à l’anglaise, meublée et embellie avec amour par Voltaire et Mme du Châtelet. Le site de Cirey est ravissant ; au-dessus du château, de grands arbres s’échelonnent jusqu’au sommet le plus élevé de la colline, couronnée par une chapelle qui sort d’un bouquet de pins. C’est là que Voltaire allait parfois à la messe, pratiquant à l’avance ce que Béranger a dit plus tard :

On peut aller même à la messe.


La vallée de Cirey est une des plus pittoresques et des plus riches de la Champagne ; la Blaise y arrose dans son cours des vergers, de grands prés, de nombreuses fabriques ; puis, à l’horizon qui borne la vallée, d’autres villages se groupent sur les coteaux, et de grands bois projettent leur sombre verdure sur le fond du ciel. C’est dans ces bois qu’on courait les chevreuils que Mme du Châtelet envoyait aux deux anges[1] ; c’est dans ces bois que Voltaire chassait. « J’ai besoin de faire de grands exercices, écrivait-il à l’abbé Moussinot ; je vous prie de me faire acheter un bon fusil, une jolie gibecière avec appartenances, marteaux d’armes, tire-bourre, etc. » Et tandis qu’il passait à travers les forêts dans cet équipement, Mme du Châtelet le suivait svelte et gracieuse, montée sur sa jument l’Hirondelle.

L’intérieur du château de Cirey était d’une grande magnificence ; c’était ce luxe intelligent et exquis que les artistes et les poètes seuls savent se donner quand ils ont pour eux la fortune. Le président Hénault s’arrête un jour à Cirey en allant à Plombières, et il écrit au comte d’ Argenson : « J’ai passé par Cirey ; c’est une chose rare. Ils sont là tous deux seuls, comblés de plaisirs ; l’un fait des vers de son

  1. C’est ainsi que Voltaire et Mme du Châtelet appellent toujours dans leurs lettres le comte et la comtesse d’Argental, leurs confidens et leurs amis.