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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/1027

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sépare à jamais de Voltaire. Un de ses parens, qui lui est hostile, menace d’écrire une lettre au marquis du Châtelet pour lui dessiller les yeux ; après avoir parlé de cette crainte :

« Je désire, dit-elle, de me tromper, mais si je ne me trompe pas, comme je le crains, il est de la dernière importance que je le sache. Cela changerait toute ma vie ; il faudrait abandonner Cirey, du moins pour un temps, et venir demeurer à Paris. Là on n’aura point de prétexte de prier M. du Châtelet de ne lui point donner asile, et nous pourrons du moins nous voir. Il faudrait que j’eusse le temps de prévenir M. du Châtelet de loin, car nos affaires sont arrangées pour demeurer ici au moins encore deux ans. Nous y avons fait bien de la dépense, mais cela ne fait rien, j’en viendrai à bout, pourvu que je le sache. Il est bien affreux de quitter Cirey, mais tout vaut mieux que la lettre à M. du Châtelet... Je vous demande donc d’éclaircir ce mystère d’iniquité…. Ma vie, mon état, ma réputation, mon bonheur, tout est entre vos mains. »


Et le 31 décembre :

« La tête me tourne d’inquiétude et de douleur, vous vous en apercevez bien à mes lettres. Je n’ai pas eu de nouvelles de votre ami depuis le 20 ; cependant je suis bien sûre qu’il m’a écrit. Il peut arriver tant d’accidens en chemin, sa santé est si mauvaise, que les choses les plus sinistres me passent par la tête et que je suis prête à céder à mon désespoir. Il se peut encore qu’on ait reconnu son écriture et qu’on ait arrêté ses lettres….

« Il y a quinze jours que je ne passais point sans peine deux heures loin de lui. Je lui écrivais alors de ma chambre à la sienne, et il y a quinze jours que j’ignore où il est et ce qu’il fait ; je ne puis même pas jouir de la triste consolation de partager ses malheurs. Pardonnez-moi de vous étourdir de mes plaintes, mais je suis trop malheureuse. »


Janvier 1735.

« Je vous ai mandé mes raisons aussi bien que mes instances pour qu’il fût d’une sagesse extrême dans cette nouvelle édition de ses œuvres… Il faut à tout moment le sauver de lui-même, et j’emploie plus de politique pour le conduire que tout le Vatican n’en emploie pour retenir la chrétienté dans ses fers…

« On (Voltaire) m’envoie la copie d’une lettre au prince royal (de Prusse)… Voici ce que j’y trouve : J’aurai la hardiesse d’envoyer à votre altesse royale un manuscrit que je n’oserais jamais montrer qu’à un esprit aussi dégagé de préjugés que le vôtre, et à un prince qui, parmi tant d’hommages, mérite celui d’une confiance sans bornes. Je connais ce manuscrit ; c’est une métaphysique d’autant plus raisonnable qu’elle ferait brûler son homme …. Jugez si j’ai frémi ; je n’en suis pas encore revenue d’étonnement, et, je vous avoue aussi, de colère. J’ai écrit une lettre fulminante ; mais elle