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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/1028

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sera si long-temps en route que le manuscrit pourra bien être parti avant qu’elle arrive, ou du moins on me le fera croire, car nous sommes quelquefois entêtés, et ce démon d’une réputation (que je trouve malentendue) ne nous quitte point. Je vous avoue que je n’ai pu m’empêcher de gémir sur mon sort, quand j’ai vu combien il fallait peu compter sur la tranquillité de ma vie ; je la passerai à combattre contre lui pour lui-même sans le sauver, à trembler pour lui, à gémir de ses fautes ou de son absence. Mais enfin telle est ma destinée, et elle m’est encore plus chère que les plus heureuses … Confier à un prince de vingt-quatre ans dont le cœur ni l’esprit ne sont encore formés, qu’une maladie peut rendre dévot, qu’il ne connaît point, le secret de sa vie, sa tranquillité et celle des gens qui ont attaché leur vie à la sienne, en vérité, il devait ne le point faire ! Si un ami de vingt ans lui demandait ce manuscrit, il devrait le lui refuser, et il l’envoie à un inconnu et prince ! »


Et plus loin :

« Ce serait bien ici le temps de faire imprimer cette dissertation sur les trois épîtres ; cela lui ferait plus de plaisir que cela ne vaut. Il faut lui pardonner ses faiblesses.


En février de la même année elle écrit encore :

« Je l’aime mieux libre et heureux en Hollande que menant pour moi la vie d’un criminel dans son pays ; j’aime mieux mourir de douleur que de lui coûter une fausse démarche….

« On jouait Alzire à Bruxelles, à Anvers, et dans toutes les villes où il a passé. Quels chaos de gloire, d’ignominie, de bonheur, de malheur ! heureuse ! heureuse l’obscurité !….

« Vous penserez que je deviens folle ; on le serait à moins. Je suis un avare à qui, on a arraché tout son bien et qui craint à tout moment qu’on ne le jette dans la mer.

« … Plus de cour de Lorraine ; si je puis revoir votre ami, je ne veux jamais sortir de Cirey. J’en reçois dans cette minute une lettre qui me fait bien craindre qu’il ne revienne point ; je suis très mécontente de lui ; il faut enfin que je vous l’avoue, et je crains fort qu’il ne soit bien plus coupable envers moi qu’envers le ministère. Enfin nous verrons s’il reviendra ; mais, je vous le répète, je n’en crois rien, et je vous jure bien que je ne me sens pas la force de résister au chagrin que j’en ressentirais : nous le perdons sans retour, n’en doutez point ; mais qui pourrait le conserver malgré lui-même ? Je n’ai rien à me reprocher, c’est une triste consolation : je ne suis pas née pour être heureuse. Je n’ose plus rien exiger de vous ; mais, si je l’osais, je vous prierais de faire encore un dernier effort sur son cœur. Mandez-lui que je suis bien malade, car je le lui mande, et qu’il me doit au moins de venir m’empêcher de mourir ; je vous assure que je ne mens pas