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qui rendront son nom immortel, et s’il s’est trompé sur quelques points de physique, c’est qu’il était homme, et qu’il n’est pas donné à un seul homme ni à un seul siècle de tout connaître.

« Nous nous élevons à la connaissance de la vérité, comme ces géans qui escaladaient les cieux en montant sur les épaules les uns des autres. Ce sont Descartes et Galilée qui ont formé les Huyghens et les Leibnitz, ces grands hommes dont vous ne connaissez encore que les noms, et dont j’espère vous faire connaître bientôt les ouvrages, et c’est en profitant des travaux de Kepler et en faisant usage des théorèmes d’Huyghens, que M. Newton a découvert cette force universelle répandue dans toute la nature qui fait circuler les planètes autour du soleil et qui opère la pesanteur sur la terre.

Dans une lettre à Maupertuis, Mme du Châtelet nous fait connaître elle-même sa passion pour la science.

« La vie est si courte, lui écrit-elle, si remplie de devoirs et de détails inutiles, qu’ayant une famille et une maison, je ne sors guère de mon petit plan d’étude pour lire les livres nouveaux. Je suis au désespoir de mon ignorance ; si j’étais homme, je serais au mont Valérien avec vous[1], et je planterais là toutes les inutilités de la vie ; j’aime l’étude avec plus de fureur que je n’ai aimé le monde ; mais je m’en suis avisée trop tard. Conservez-moi votre amitié, elle console mon amour-propre. »

C’est sans doute aussi durant ces studieuses années de retraite passées à Cirey que Mme du Châtelet composa un petit traité qui ne fut publié qu’après sa mort, ayant pour titre Doutes sur la religion révélée[2]. Ici, avec ce même style ferme et lucide qui, dans les Institutions de Physique, lui sert à démontrer l’existence de Dieu, elle exprime ses doutes sur la révélation, les miracles, l’Écriture sainte.

Dans ce rare et curieux écrit, cette intelligence sérieuse et hardie veut soumettre à la raison toutes les propositions de la foi, et souvent elle appelle à son aide l’esprit et la raillerie de Voltaire.

  1. Maupertuis et Clairault avaient une retraite scientifique au Mont-Valérien.
  2. En 1767, on publia, sans nom d’auteur, les Doutes sur la Religion ; cet ouvrage avait été imprimé à Genève, sous la rubrique de Londres. On l’attribua d’abord à Guyot de Pival, bibliothécaire de Rouen et précepteur du chevalier de Belle-Isle et du comte de Gisors. A la suite de ce traité se trouvait une analyse de Spinosa par le comte Henri de Boulainvilliers, célèbre par ses systèmes historiques. Ce même traité (Doutes sur la Religion) reparut en 1792 comme inédit et avec quelques changemens, sous ce titre : Doutes sur la Religion révélée, adressés à Voltaire, ouvrage posthume par madame la marquise du Châtelet, in-8o. Cette brochure se trouvait dans le recueil des pièces de la Bibliothèque du roi, mais il nous a été impossible de la découvrir ailleurs que dans les catalogues. Nous n’avons retrouvé qu’un seul exemplaire de l’édition première, au Louvre, dans la bibliothèque particulière du roi.