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poudre, étaient relevés sur le sommet de la tête, et retombaient en boucles par derrière comme ceux des enfans. A onze heures, on prenait le café dans l’appartement de Voltaire, après quoi l’on se remettait au travail, ou bien on répétait quelque ouvrage dramatique de Voltaire, tragédie, comédie ou opéra, que l’on représentait le soir sur le petit théâtre du château. Mme du Châtelet y jouait toujours le premier rôle. Les autres étaient remplis par les visiteurs qui se succédaient à Cirey. On soupait à neuf heures dans la galerie de Voltaire qui, poudré, parfumé, en veste brodée d’or, en habit à la française[1], recevait la châtelaine bien-aimée, entouré d’un nombreux domestique. On faisait grande chère, on buvait du vin de Champagne du crû, du vin d’Alicante donné par Maupertuis et du vin de Hongrie envoyé par le prince royal de Prusse.

Lorsqu’il était à Cirey, le marquis du Châtelet assistait au souper ; mais, au dessert, le sommeil le gagnait, et il se retirait. C’est alors que Voltaire lisait à Émilie et à ses hôtes le travail de sa journée, tantôt un acte de tragédie, tantôt une épître, une réponse à un pamphlet ou un fragment de son histoire de Louis XIV. Les conseils littéraires que lui donnait son amie étaient excellens ; au risque de blesser sa susceptibilité de poète, toujours en éveil, elle engageait Voltaire à faire moins de vers et à les châtier davantage. Elle modérait les emportemens de son amour-propre irrité, et s’efforçait d’arrêter sa plume quand il voulait se venger des injures de ses ennemis en les injuriant à son tour ; ferme et digne, elle faisait des observations avec franchise et vivacité, et ne cédait point aux colères qu’elle suscitait parfois. De là des querelles fréquentes, mais soudain apaisées, que le public appelait de graves dissentimens. Mme du Châtelet manquait peut-être de douceur, mais elle avait la bonté, la droiture et le dévouement.

Quand Voltaire était malade, Mme du Châtelet, assise à son chevet, lui lisait les épîtres de Cicéron, Virgile et Ovide en latin, Newton et Pope en anglais, ou bien elle lui servait de secrétaire. Ce temps de bonheur, car c’était du bonheur, malgré quelques nuages bien vite dissipés par l’amour, fut troublé à la fin de 1736. Voltaire, menacé de nouveau après la publication du Mondain, est forcé de quitter

  1. Voltaire était d’une extrême recherche dans sa toilette ; il écrivait de Cirey à l’abbé Moussinot : « Envoyez-moi des boucles en diamans pour souliers et pour jarretières ; vingt livres de poudre à poudrer, vingt livres de poudre de senteur, une bouteille d’essence de jasmin, deux énormes pots de pommade à la fleur d’orange, deux houppes à poudrer, deux pinces de toilette, trois paires de pantoufles bien fourrées, deux vestes brodées, etc., etc. »