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triste consolation à vous ouvrir mon cœur ; le temps ni les torts ne font rien sur moi, et je vois bien, par ce que, j’éprouve, que la source de mes chagrins est intarissable.


Le 22 octobre 1743, elle écrit encore de Bruxelles :

« … Je ne reconnais plus celui d’où dépend et mon mal et mon bien, ni dans ses lettres ni dans ses démarches ; il est ivre absolument. Je sais enfin, par l’envoyé de Prusse à La Haye, qu’il est parti de Berlin le 12 ; il doit passer par Brunswick, car il est fou des cours d’Allemagne. Enfin, il met douze jours pour revenir de Berlin à La Have, et il n’en a mis que neuf à y aller. Je sens bien que trois jours, dans une autre situation, ne devraient pas être reprochés ; mais quand vous songerez qu’il a fait durer cinq mois une absence qui devait être au plus de six semaines, qu’il est resté quinze jours à Bareith sans le roi de Prusse, qu’il a passé, à son retour, quinze jours de plus à Berlin, qu’il a été trois semaines entières sans m’écrire, et que, depuis deux mois, j’apprends ses desseins et ses démarches par les ambassadeurs et par les gazettes, vous sentirez aisément combien je suis à plaindre. Tout ce que j’ai éprouvé depuis un mois détacherait peut-être toute autre que moi, mais s’il peut me rendre malheureuse, il ne peut diminuer ma sensibilité. Je sens que je ne serai jamais raisonnable ; je ne le voudrais pas même, quand il ne tiendrait qu’à moi, et, malgré tout ce que je souffre, je suis bien persuadée que celui qui aime le mieux est encore le plus heureux…

« Je ne vous dirai point que ma santé ne soit fort délabrée : je tousse continuellement, j’ai un mal affreux entre les deux épaules, et j’ai de plus une douleur fixe au côté droit, je crois au foie, et qui ne me quitte point. Je ne suis pas à présent assez heureuse pour être fort affectée de mon état, cependant je vous avoue que je voudrais être à Paris. Ma fièvre est pourtant diminuée, et ce n’est presque plus rien ; une autre que moi en serait morte, et peut-être serait-ce encore le meilleur !


Ce dernier cri du cœur ne semble-t-il pas un pressentiment de ce qui l’attendait ? Oui, c’eût été le meilleur de mourir alors, de ne pas essayer de recommencer sa vie et de rouvrir son ame aux passions.

Par ces lettres écrites dans tout l’abandon du sentiment, on voit qu’après dix ans de durée l’amour de Mme du Châtelet pour Voltaire était resté aussi tendre, aussi profond qu’aux premiers jours ; mais lui n’était plus qu’un ami tiède, ne pouvant plus donner et ne désirant plus inspirer que de l’amitié. En vain, à son retour, écrivait-il à Mme de Champbonin : « Mon corps a voyagé, mon cœur est toujours resté auprès de Mme du Châtelet ; » il ne put faire rentrer la confiance dans cette ame blessée. Plus galant que tendre, il s’efforçait désormais de cacher sous des paroles courtoises l’absence de l’amour. Le mal était fait ; ils restèrent amis, mais le charme des années précédentes avait