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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/1047

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Mme Geoffrin et de quelques autres femmes de ce temps. Elle aimait l’étude pour elle-même, dans la retraite, sans se préoccuper des suffrages du monde. « Jamais femme, dit Voltaire, ne fut si savante qu’elle, et jamais personne ne mérita moins qu’on dît d’elle : C’est une femme savante. Elle ne parlait jamais de science qu’à ceux avec qui elle croyait pouvoir s’instruire, et jamais n’en parla pour se faire remarquer. On ne la vit point rassembler de ces cercles où il se fait une guerre d’esprit, où l’on établit une espèce de tribunal, où l’on juge son siècle, par lequel, en récompense, on est jugé très sévèrement. Elle a vécu long-temps dans des sociétés où l’on ignorait ce qu’elle était, et elle ne prenait pas garde à cette ignorance. »,

Après un nouvel hiver passé à Cirey dans le travail et les distractions habituelles, spectacles, concerts donnés aux visiteurs et aux voisins de campagne, Voltaire et Mme du Châtelet partirent pour Lunéville. Stanislas, roi de Pologne et père de Marie Leczinska, femme de Louis XV, les appelait à sa petite cour. Comme chacun le sait, ce prince, élu deux fois roi de Pologne, n’en avait possédé que le titre, et, chassé de ses états, avait obtenu en dédommagement de la perte d’une couronne l’usufruit de la Lorraine, qu’il gouvernait temporairement, cette province appartenant de fait à la France par suite des traités de Vienne de 1735. M. du Châtelet était un des premiers gentilshommes de Lorraine, où il commandait un régiment. La marquise de Boufflers, amie de Mme du Châtelet, faisait les honneurs de la maison du roi de Pologne à Lunéville. On le voit, toutes les convenances se réunissaient pour y attirer Voltaire et Mme du Châtelet. De plus, un jésuite, confesseur de Stanislas, avait des vues secrètes sur Mme du Châtelet. Voltaire raconte plaisamment ce projet d’intrigue digne d’un révérend père de la compagnie de Jésus.


« Le roi Stanislas tenait alors sa petite et agréable cour à Lunéville. Tout vieux et tout dévot qu’il était, il avait une maîtresse. C’était Mme la marquise de Boufflers. Il partageait son ame entre elle et un jésuite nommé Menou, le plus intrigant et le plus hardi prêtre que j’aie jamais connu. Cet homme avait attrapé au roi Stanislas, par les importunités de sa femme qu’il avait gouvernée, environ un million, dont partie fut employée à bâtir une magnifique maison pour lui et pour quelques jésuites, dans la ville de Nancy. Cette maison était dotée de vingt-quatre mille livres de rente, dont douze pour la table de Menou et douze pour donner à qui il voudrait.

« La maîtresse n’était pas, à beaucoup près, si bien traitée. Elle tirait à peine alors du roi de Pologne de quoi avoir des jupes, et cependant le jésuite enviait sa portion et était furieusement jaloux de la marquise. Ils étaient ouvertement