Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/1055

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la cassette où vous renfermerez mes lettres. Rapportez-les, je vous le demande à genoux, bonheur de ma vie. »

Quelques jours après, elle adressait à Saint-Lambert cette tendre et douloureuse page :


Samedi soir.

« Vous me connaissez bien peu, vous rendez bien peu de justice aux empressemens de mon cœur, si vous croyez que je puisse être deux jours sans avoir de vos lettres, lorsqu’il m’est possible de faire autrement. Vous êtes d’une confiance sur la possibilité de monter vos gardes en arrivant, qui ne s’accorde guère avec l’impatience avec laquelle je supporte votre absence. Quand je suis avec vous, je supporte mon état avec patience, je ne m’en aperçois souvent pas ; mais quand je vous ai perdu, je ne vois plus rien qu’en noir. J’ai encore été aujourd’hui à ma petite maison, à pied, et mon ventre est si terriblement tombé, que je ne serais point étonnée d’accoucher cette nuit ; mais j’en serais bien désolée, quoique je sache que cela vous ferait plaisir. Je vous ai écrit hier huit pages ; vous ne les recevrez que lundi. Vous n’articulez point si vous reviendrez mardi, et si vous pourrez éviter d’aller à Nancy au mois de septembre. Ne me laissez pas d’incertitude, je suis d’une affliction et d’un découragement qui m’effraieraient si je croyais aux pressentimens. Le prince va être bien heureux de vous posséder ; il n’en connaîtra pas le prix si bien que moi. Dites bien au prince que vous n’irez plus à Aroué[1] avant mes couches, je ne le souffrirai pas. J’ai un mal de reins insupportable et un découragement dans l’esprit et dans toute ma personne dont mon cœur seul est préservé. Ma lettre qui est à Nancy vous plaira plus que celle-ci ; je ne vous aimais pas mieux, nais j’avais plus de force pour vous le dire, il y avait moins de temps que je vous avais quitté ! Je finis parce que je ne puis plus écrire. »


Pour se raffermir contre ses funestes pressentimens, Mme du Châtelet avait appelé auprès d’elle une demoiselle de compagnie qui lui avait été autrefois fort attachée. Elle se nommait Mlle Duthil. Mme du Châtelet la revit avec plaisir, mais n’en conserva pas moins de vives alarmes. La crise douloureuse arriva : huit jours après le billet à Saint-Lambert que nous venons de citer, Mme du Châtelet accoucha d’une fille[2], le 4 septembre, dans le palais même du roi Stanislas. Ne prévoyant pas la douloureuse issue de cet évènement, Voltaire l’annonce fort gaiement au comte d’Argental : « Mme du Châtelet, dit-il, cette nuit, en griffonnant son Newton, s’est sentie un petit besoin. Elle a appelé une femme de chambre qui n’a eu que le temps de

  1. Maison de plaisance du roi de Pologne.
  2. Cette fille ne survécut que peu de jours à sa mère.