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cœur s’amollir n’est-il pas un des auteurs des calamités de sa patrie et de sa famille ? Noble lutte de généreuses passions ! Dans le drame apparaissent encore le roi des rois, Agamemnon, qui voudrait aussi sauver Cassandre et sur qui pèse le souvenir de sa fille sacrifiée ; Calchas, parlant au nom des dieux et attachant le salut des Grecs à un nouveau sacrifice ; l’artificieux Ulysse, qui diffère trop peut-être du sage héros d’Homère. Rien n’est grand comme la douleur maternelle d’Hécube : « Le Destin nous réserve de nouvelles épreuves, dit-elle, et bientôt Ilion détruit sera pour nous une ancienne douleur.

« POLYXÈNE.- Que peux-tu craindre ?… Quel autre souhait pourraient faire les Grecs ? Les dieux n’ont-ils pas épuisé leurs colères ?
HÉCUBE. — Hécube a encore des enfans !… Ah ! tu ne sais pas que le vainqueur redoute toujours le vaincu… Une mère n’est point trompée par les prévisions de son cœur affligé… Hélas ! je ne suis pas encore arrivée à cette sécurité terrible qu’on rencontre au bout des infortunes humaines !…

En effet, les larmes d’Hécube couleront encore, l’ombre d’Achille aura sa victime ; Polyxène n’est pas vainement réclamée par les dieux ; du moins elle mourra de la main de Pyrrhus, et elle se jette au-devant de son glaive, au moment où, irrité, il veut frapper Calchas en face des Grecs assemblés pour le sacrifice.

Polyxène fut, avec justice, couronnée en 1810 par l’académie de la Crusca. C’est une belle étude sur ces temps consacrés par la poésie, un vrai bas-relief antique. Niccolini était remonté droit à la source de l’inspiration grecque, à Homère, à Eschyle, à Euripide, et on sent combien, dans son jeune enthousiasme, il s’était laissé séduire par cette mâle vigueur de pensée et cette divine harmonie de forme. Il n’y aurait pas beaucoup de traits à retrancher pour que Polyxène eût pu figurer devant le public d’Athènes ; y a-t-il donc une si grande différence entre la patrie d’Euripide et la patrie de son lointain disciple ?

Il y a en effet une chose à observer, bien propre à éclairer l’histoire littéraire : c’est cette mystérieuse parenté qui rapproche les peuples à travers les siècles et fait comme une famille unique d’une race antique et des races nouvelles qui en dérivent. Par-là s’expliquent nos goûts, nos préférences, nos instincts intellectuels ; de là naît aussi cette aptitude particulière de chaque nation à reproduire des types divers. Faire revivre la Grèce, n’est-ce pas, pour l’Italie, retracer en beaucoup de points sa propre image ? En s’en allant vers cet antique pays, elle aperçoit encore le même ciel, elle vit sous le même climat ; elle sent en elle le même amour de la forme, de la beauté, de tout ce qui est grand et harmonieux. Si l’on tient compte