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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/1067

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Cette œuvre de pure et calme poésie apparaît singulièrement au milieu de ce monde où vivait l’auteur. Niccolini s’était fait le contemporain d’Homère, tandis qu’autour de lui l’histoire vivante offrait le plus dramatique intérêt, tandis que l’Europe était tout entière en armes, frémissante sous l’empire d’un seul homme, tandis que l’Italie, subissant le contre-coup de toutes ces révolutions grandioses, changeait à chaque instant de maîtres, se voyait le hochet des fantaisies impériales, et déguisait mal ses inquiétudes. A peine, par un indirect pressentiment, parle-t-il de ces expéditions lointaines où les époux vont mourir, « ne trouvant que des mains étrangères pour fermer leurs yeux, et ne devant plus retrouver les embrassemens des épouses. »

Les ouvrages qui suivent Polyxène, Ino « Temisto, Edipo, i Sette a Tebe, ont une moindre valeur. Par Nabucco, Niccolini entra un peu dans cette guerre d’allusions dont l'Ajax de Foscolo avait donné l’exemple éclatant. Nabucco n’est autre que Napoléon ; Marie-Louise revit sous la figure d’Amiti, « dont le mariage fit espérer la paix du monde. » Vasti, la mère de Nabucco, ne peint-elle pas le héros moderne en disant : « Que la fortune lui sourie, son orgueil est de nouveau poussé à de téméraires entreprises, et de ses triomphes même naît la guerre. Que les rois ennemis l’emportent, et je les vois fouler aux pieds Nabucco et se hausser sur ses ruines ! » Nabucco, déjà près d’être vaincu, appelle Amiti : « Si je t’entraîne dans mon malheur, lui dit-il, mon nom te reste, et la gloire que tu en recevras sera plus grande que celle du trône et de tes aïeux… Va vers notre fils, embrasse-le pour moi !… » Illustre héritage qui a été répudié comme un legs vulgaire ! Faut-il être surpris qu’un poète bien inspiré se reportât vers d’autres temps pour y trouver un idéal de dignité qu’il n’avait pas sous les yeux ?

Cependant, au moment même où Niccolini écrivait ces ouvrages empreints de la couleur antique, sans relation avec les questions actuelles, avec cet ensemble de pensées nouvelles qui tendaient à pénétrer dans la littérature, il se faisait en lui un travail secret qui préparait son esprit aux tentatives modernes, qui le conduisait à approfondir les lois de l’art, à leur donner une interprétation plus large et plus vivante. L’instinct de rénovation perce déjà dans ses premiers fragmens de critique. Dans le discours sur la Ressemblance de la poésie et de la peinture (della Somiglianza fra la pittura e la poesia), Niccolini indique comme le but le plus constant de l’une et de l’autre la fidélité à la nature. Le morceau de l’Influence des arts sur la vie civile est plein d’une sérieuse fierté. Les arts ne sont plus considérés comme