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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/1068

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un objet de frivole amusement, comme un passe-temps aimable ; l’auteur ne les sépare pas de la vie sociale, il veut qu’ils soient l’expression de nos sentimens, de nos pensées, et qu’ils travaillent aussi à élever nos ames, à nous encourager dans les luttes publiques, et pour cela il faut que les arts aient le premier bien qui les peut faire vivre, la liberté. C’est là le résumé du discours, qui finit par un chaleureux appel au souvenir de Rienzi. Que ces idées, entrevues par Niccolini, soient développées, n’arrivera-t-on pas à la ruine de toutes les fictions académiques, et aux principes littéraires que l’école moderne a cherché à faire prévaloir ? C’est de ces préoccupations, sans aucun doute, qu’est né le premier essai dramatique du poète florentin sur un sujet moderne. Matilde date d’une année plus féconde en catastrophes qu’en productions littéraires, — de 1815 ! C’est une œuvre médiocre, où luttent des tendances opposées, où se fait sentir un pénible effort. L’auteur voit bien que le passé littéraire ne peut plus être refait ; il sent que les classiques héros de la tragédie ont perdu leur prestige, qu’une révolution s’est accomplie dans les esprits ; mais l’avenir ? il ne peut le distinguer clairement encore. Quels accens, quelles formes faut-il invoquer pour donner une poésie digne d’elle à cette époque si profondément remuée, éblouie par tant de gloire, attristée par tant de malheurs ? C’était un moment grave pour la littérature. Dès-lors Niccolini semble rentrer en lui-même ; il se renferme dans l’étude, seul asile qui convienne à son indépendance ; il laisse passer les réactions bruyantes au sein desquelles les lettres n’ont point de rôle. Il attend le résultat de ces luttes tragiques, et demande à la méditation silencieuse la maturité qui manque à ses idées. Son intelligence observe soigneusement tous les indices, et s’élargit par la connaissance des littératures étrangères. Un élégant Discours sur Andrea Orgagna est le seul fruit de ces années. Entre ces dernières œuvres et celles qui ont vu le jour depuis, il y a un intervalle marqué, — plus grand encore si on le juge au point de vue moral qu’au point de vue du temps écoulé.

L’empire, dans sa chute, avait entraîné toutes ces fragiles puissances, ces proconsulats auxquels Napoléon avait soumis l’Italie. La face de l’Europe était changée ; rien ne restait plus de cet assemblage de royaumes feudataires que l’empereur avait cru durables dans l’illusion de sa gloire ; les frontières nouvelles que sa main hardie avait tracées, la rancune victorieuse avait eu hâte de les faire disparaître, et, en effaçant tout vestige de cette domination gigantesque, fille d’une révolution, il semblait aussi qu’on eût le dessein de ne laisser