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subsister aucune des conquêtes morales, aucun des progrès qui en étaient résultés. L’Autriche avait ressaisi le sceptre de la péninsule, qui se trouvait ainsi ramenée à l’immobilité, livrée de nouveau à un esprit de gouvernement sans grandeur, réduite à vivre sans bruit, doucement, vulgairement, dans une passive obéissance, propre encore à augmenter ses divisions. Si vive que fût en quelques cœurs italiens l’animosité contre l’empereur pour les déceptions qu’il leur avait causées, il y avait encore en eux cependant une intime espérance. Un poète l’a dit, — par les armes qui étaient mises dans ses mains, l’Italie pouvait regagner son indépendance ; ce mélange de peuples divers sous les drapeaux pouvait servir à atténuer d’antiques rivalités, à réaliser en partie l’union du pays. Voilà ce qui ne paraissait plus possible avec les nouveaux gouvernemens italiens, influencés par l’Autriche. Quels sentimens, quelles pensées furent éveillés dans l’ame de Niccolini par ces évènemens mémorables ? Peut-être est-il aisé de l’entrevoir dans l'Éloge d’Alberti, prononcé à l’académie des beaux-arts de Florence en 1819, et où il apprécie avec une singulière virilité les conditions de l’art en face du pouvoir : c’est la forte impartialité d’un esprit éclairé et affermi par les révolutions, qui a vu souvent l’égoïsme et l’ambition pris pour mobiles, et ne croit plus qu’à la vertu, à l’indépendance, seuls objets dignes qu’on se dévoue à leur culte. Il aime à s’arrêter là où ces qualités se retrouvent. « Alberti n’était pas tel, dit-il, qu’en face des puissans la peur lui conseillât un lâche silence ou l’adulation de viles paroles. » Et, en peignant la calme solitude du sage, qui semble être pour lui un idéal, il ajoute : « … Mais pour que cette vie solitaire te plaise, il faut que tu saches supporter joyeusement la pauvreté, que ta conscience soit assez pure pour ne te rien reprocher, ton ame assez forte pour se suffire à elle-même ; afin d’arriver à ce but, rappelle-toi les doctrines de cette mâle philosophie qui éleva l’ame de Caton et de Brutus, et qui, dans les temps de la plus abjecte servitude, préserve la dignité du genre humain et inspire une vertu sans terreur. » N’y a-t-il pas en même temps un sentiment de plus en plus assuré de la vérité littéraire dans les observations de Niccolini sur cette époque des Médicis, « où l’auguste éloquence des libres génies fait place à la présomptueuse loquacité des rhéteurs, et où l’érudition impose silence aux muses toscanes. »

La rénovation littéraire se dessinait dès-lors avec puissance et avec un remarquable ensemble en Italie. Au milieu des effets désastreux qu’eut la catastrophe de 1815, il en est un cependant qui mérite d’être