Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/1072

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

licence littéraire, par ses visibles affinités avec le XVIIIe siècle, par son amour presque exclusif des gloires nationales, qu’il craint de voir désertées pour des modèles étrangers, pour Goethe, pour Schiller.

La première question où le novateur se révèle en Niccolini, c’est la question de la langue, toujours agitée avec tant de chaleur, avec une si vive passion, et qui ne serait qu’un puéril débat de vanités rivales, qu’une pédantesque dispute de grammairiens, si on ne découvrait ce qu’il y a au fond d’essentiel et de vital. M. Sainte-Beuve, dans sa belle étude sur Fauriel[1], a montré à quel point l’obstacle qu’oppose au progrès littéraire de l’Italie la différence de ses dialectes avait occupé Manzoni : il se présente en effet invinciblement à l’esprit de tout écrivain, au moment où il prend la plume, et lui rappelle les divisions du pays. Ainsi cette question philologique naît d’une pensée plus profonde déposée au cœur de l’Italie moderne ; ce travail pour créer une langue commune sur les ruines des dialectes qui se combattent répond à d’autres vœux plus intimes, aux tendances irrésistibles vers l’unité. Au commencement du siècle, disions-nous, quelques poètes, sentant cette difficulté, voyant d’ailleurs la langue énervée, pervertie par l’imitation, avaient voulu la retremper à ses sources, et, se retirant dans le passé, ils avaient pris exclusivement pour modèles les antiques écrivains. Là du moins était la certitude, là se retrouvait la pureté primitive, là l’expression n’était sujette à aucune variation ; mais n’était-ce point constituer une sorte d’aristocratie de langue écrite à côté de la langue parlée, diverse et mobile ? Toute tradition morale n’était-elle pas rompue ? En immobilisant le langage, ne violaient-ils pas toutes les lois du progrès intellectuel ? De telle façon que leurs efforts, généreux en principe, aboutissaient à des conséquences étroites et infailliblement mortelles, à une littérature toute de fiction et d’imitation. Niccolini envisage ce problème à un point de vue plus élevé, à un point de vue vraiment philosophique, dans son Discours sur la formation de la langue, écrit en 1818, Il ne sépare pas le développement de la langue de la vie même de la nation ; il recherche les élémens de l’expression dans nos facultés, dans notre entendement, dans nos sentimens et nos pensées les plus intimes ; il efface ces distinctions d’un langage écrit, fixe et invariable, qui serait un langage mort, et d’un langage parlé, abandonné à tous les caprices, à toutes les divisions, rebelle à toute règle, et impropre aux œuvres littéraires ; il n’en existe qu’un seul, et c’est dans le peuple autant que dans les livres

  1. Voyez les livraisons de la Revue du 15 mai et du 1er juin 1845.