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Antonio Foscarini est déjà mort. — Ce drame, dans sa simplicité, est d’un puissant effet. Joué sur tous les théâtres, il a été vivement attaqué et chaleureusement défendu. Un critique de l'Anthologie en donnait une définition vivante qu’on peut bien rapporter. Un jour, il avait vu une jeune Française, renommée pour sa beauté autant que pour son talent poétique, descendant les degrés du palais Michelozzi ; sa figure fière et charmante, ornée d’une belle chevelure blonde, se détachait, par un merveilleux relief, sur la structure monumentale qui semblait lui servir de cadre. Voilà la tragédie de Niccolini ! s’écria-t-il. Telle est, en effet, la douce et pâle image de Teresa se dessinant sur le fond austère de la Venise du XVIIe siècle. Il y a une différence cependant ; déjà la douleur a laissé sa trace sur le front de la jeune Vénitienne, et ses cheveux qui tombent ont été dénoués dans l’affliction.

Jean de Procida date de 1830. Qui ne connaît le terrible et sanglant épisode des vêpres siciliennes ? Un essai érudit et ingénieux de M. Amari a, il est vrai, présenté ce grand fait sous un jour nouveau et en a notablement changé le caractère ; il a effacé cette couleur dramatique que l’histoire semblait avoir empruntée à l’imagination populaire. Il a réduit à des termes moins héroïques ce soulèvement proverbial. Cependant cette victoire de l’érudition ne saurait, à notre avis, modifier profondément le point de vue sous lequel la poésie l’a pu envisager. La vérité poétique, en effet, diffère de la vérité historique en plus d’un point. Certes l’historien qui décrit une époque ne peut en négliger le côté moral ; mais son premier devoir, c’est une entière exactitude, c’est une parfaite reproduction de la réalité des faits. Le poète, au contraire, échappe à cette loi rigoureuse et peut créer lui-même une action, pourvu qu’il reste fidèle à la vérité des mœurs, des idées, des sentimens, à la vérité humaine. Que lui importent les détails d’une conspiration, le lieu où elle a pris naissance, le nom de ceux qui ont poussé le premier cri de révolte ? S’il voit dans un pays deux races qui se combattent, des vainqueurs et des vaincus, certainement il ne fausse pas la vérité en montrant ceux-ci prêts à tout tenter pour leur délivrance et en personnifiant la lutte en quelques hommes dont il agrandit à dessein la figure. C’est en quoi, il nous semble, la tragédie de Niccolini peut être vraie encore, malgré les démentis que lui pourraient donner les faits après les découvertes érudites de M. Amari. Jean de Procida est le résumé vivant de toutes les antipathies patriotiques contre la domination étrangère ; il a parcouru toute l’Europe pour fomenter des inimitiés contre Charles