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d’Anjou ; âpre et redoutable proscrit, il remet le pied en Sicile ; son pays gémit sous le joug, son fils est mort, sa fille Imelda est la femme d’un des dominateurs, de Tancredi, fils d’Éribert. « Je n’ai plus d’enfans, s’écrie-t-il, je n’ai que ma patrie ! » Et il prépare l’effrayant dénouement auquel les coopérateurs ne manqueront pas dès le premier appel. « Un peuple ne conjure pas, dit Procida ; mais tout le monde s’entend sans qu’il y ait un accord visible. » Le drame entier est écrit avec une chaleureuse énergie et abonde en traits d’une poésie inspirée. Tout s’y agite, tout prend une voix, — le peuple, qui remue sourdement, gronde, puis éclate, — les poètes, qui se demandent en chœur si la sœur des esclaves doit toujours féconder la terre, si le divin sourire du ciel est fait pour éclairer tant de douleurs, — et les jeunes filles siciliennes, qui pleurent la perte de leur beauté réservée au vainqueur. C’est la poésie de la plainte, de l’amertume, de la vengeance. Dans cette atmosphère de haine, cependant, il circule un souffle plus doux par momens ; il y a une pensée de concorde où se peut reposer le cœur. L’auteur a fait la part de l’humanité généreuse, aspirant à la paix, à l’union fraternelle, et c’est l’amour de Tancredi et d’Imelda qui semble être l’expression de ces nobles souhaits. Imelda dit au fils d’Éribert :


« Ah ! puissé-je te suivre et oublier que je suis née sur cette terre où la haine des Francs est arrivée à son comble !

TANCREDI. — Que me parles-tu d’Italie et de France ? Ah ! tu ne sais pas qu’il n’y a qu’une patrie pour les ames !… Devant Dieu, il n’y a ni Italien ni Franc ; il n’y a que l’homme, et je sens toute la douceur de cette loi qui nous veut frères. Reviens vers notre enfant, tu verras comme il dort et comme il sourit. Peut-être est-ce à nous qu’il pense dans son rêve ; s’il se trouble, donne-lui un baiser ; soulève ses mains innocentes vers le ciel, et que sa prière entendue du Seigneur te rende la paix !… »


Tancredi, n’est-ce pas un autre marquis de Posa pour Niccolini, c’est-à-dire l’homme qui devance son temps, le héros idéal que, par un anachronisme pardonnable, le poète aime à opposer à la réalité digne de pitié ou de mépris ?

Jean de Procida rappelle une autre œuvre d’un écrivain respecté, de Casimir Delavigne. Niccolini, Delavigne ! ce n’est point un rapprochement factice créé par notre imagination. En négligeant les différences radicales, soit dans l’idée, soit dans l’exécution, qu’il y a entre Procida et les Vêpres siciliennes, et en remontant des œuvres aux hommes, combien de traits semblables dans le caractère également