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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/1081

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Peut-être est-il permis de regretter que cette sévère et profonde mélancolie ne se soit pas épanchée plus souvent, et que l’auteur n’ait pas ajouté d’autres chants à ce poème intime du cœur, qu’on eût pu mettre à côté des hautes inspirations lyriques de Berchet et des hymnes douloureux de Leopardi.

Tandis que dans ces écrits divers, tragédies ou essais de critique, on voit le poète florentin s’accroître ainsi, et par un effort mesuré et persévérant, par une sorte de combat où se plaît son esprit, qui développe ses forces, chercher à s’approprier ce qu’il y a de bon, d’excellent, de fécond dans les doctrines modernes, sans renier les pensées de sa jeunesse et les souvenirs de l’austère tradition, — la littérature contemporaine, au contraire, affaiblie dans son triomphe, s’aventurait et se relâchait de plus en plus ; la recherche, l’affectation, dont ont avait cru se délivrer, reparaissaient sous d’autres formes ; l’incertitude produisait un désordre maladif et stérile, une réelle anarchie d’idées et de langage. Le caprice restait seul souverain ; il était adopté comme l’unique règle dans la poésie. Or, à quelque point de vue qu’on se place en abordant sérieusement les questions littéraires, qu’on veuille suivre les traces de Shakspeare ou de Racine, de Virgile ou de Dante, de Boileau ou de l’Arioste, qu’on s’inspire de l’antiquité, du moyen-âge ou du temps présent, est-il possible d’imaginer un art qui ne soit que l’expression de la fantaisie de chaque écrivain, auquel on ne puisse demander compte des couvres qu’il produit, en vertu de certaines notions générales, de certaines lois fixes, de certaines conditions immuables qui forment comme un point commun où se peuvent retrouver, pour se comprendre, le poète, le critique et le public ? La poésie serait vraiment alors rejetée parmi ces brillantes futilités qui amusent sans instruire, sans laisser dans le cœur cette durable émotion qu’excite l’expression de toute vérité humaine largement et fidèlement reproduite. Là où nous cherchions les mouvemens de notre propre nature, nous trouverions le caprice et les bizarreries de l’écrivain. La critique ne serait pas seulement inutile, elle serait impossible, car elle ne pourrait être que le sentiment particulier d’un homme variable, suivant son humeur, et ne se rattacherait à aucun principe permanent. Ainsi, ce qu’il y a de vraiment grand dans la littérature considérée comme l’image de la société qui s’agite et qui marche disparaîtrait aussitôt ! Cela est vrai en Italie comme en France.

Quelle influence pouvait avoir un tel état de choses sur l’auteur de Procida ? L’hésitation devait regagner son intelligence et glacer ses