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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/1085

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UN SUISSE A UN ROMAIN. — Sauras-tu soutenir le choc des armes ?
LE ROMAIN. — Immobile et fier, tu me verras sur le champ de bataille, et la seule pensée de la fuite ne pénétrera pas dans mon cœur.
UN SUISSE. — Et si le peuple cède aux chances du combat ?
LE ROMAIN. -Le Tibre est là près de nous ; nous mourrons tous, et celui qui succombera sera frappé au front ; il aura la poitrine percée par la lance ou par le glaive, en mourant pour la liberté.
ARNALDO. — Ah ! si une valeur égale ne répond pas à ces paroles altières, les étrangers pourront dire : Brutus est pour toujours endormi !

Arnaldo da Brescia est le dernier fruit de la maturité prolongée et virile de l’auteur ; ses sentimens politiques comme ses instincts littéraires viennent s’y résumer avec puissance, et sous une forme hardie qui est un vrai signe de force. Dans son ame, on le voit, il est resté une foi entière à un idéal supérieur ; son esprit a gardé une fleur de pureté ineffaçable, et qui lui vient de sa première familiarité avec le génie antique. Nul ne vérifie plus complètement que l’auteur d'Arnaldo ce mot trop oublié : « Qui se contient s’accroît. » Et peut-être est-ce un exemple salutaire à opposer à cette diffusion étourdie, à ce relâchement effréné qui conduisent à une stérilité précoce, à cette ivresse factice qui flétrit et tue les meilleures natures avant qu’elles aient tenu toutes leurs promesses.

Ainsi apparaît Niccolini ; telles sont les œuvres de ce poète sérieux et fier. Sans doute on peut concevoir une interprétation plus large et plus profonde du cœur humain, une vigueur de création plus spontanée et plus libre, des habitudes de style moins souvent déparées par l’enflure ; sans doute Niccolini n’a point fondé d’école et ne pouvait en fonder : la mesure même de son génie efface en lui ces traits saillans par lesquels éclatent les grandes originalités poétiques. Cependant il occupe encore un illustre rang, et c’est avec justice qu’un poète anonyme, répondant à ceux qui voient l’Italie déjà passée dans la région des ombres, invoquait récemment son nom comme une preuve que les sources de la vie et du patriotisme ne sont point taries au-delà des monts. Certes, ce n’est point un esprit médiocre, celui qui, cédant aux suggestions généreuses de l’amour national, a pu s’élever de Polyxène à Arnaldo.

Ce qu’il faut louer, ce qu’il faut aimer en Niccolini, c’est cette constance qui ne se dément pas, cette sérénité, pour ainsi dire, qu’il montre dans la colère, cet ensemble de qualités qui ont survécu à des déceptions nombreuses, et, en un mot, le rajeunissement progressif