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plus terrible idée de sa puissance. Il espérait détruire ainsi chez les Anglais toute envie de se mêler de ses affaires à l’avenir, et comptait bien garder cet envoyé comme prisonnier, pour en user comme d’un otage si jamais on le contrariait en rien. Ce n’était pas mal raisonné pour un barbare, et ce qui le prouve, c’est qu’il a réussi.

Le respect pour les mœurs mahométanes, une extrême réserve, beaucoup de modestie et de simplicité, auraient pu le calmer ou l’apprivoiser ; le colonel Stoddart ne fit qu’effaroucher davantage cette bête fauve. Après avoir réussi, par la persistance et la raideur, auprès des Persans, race civilisée et affaiblie, après avoir fait lever le siège de Hérat et imposé la loi britannique au roi de Perse, Stoddart espéra sans doute obtenir, chez les Ouzbecks de Bokharie, le même succès par les mêmes moyens. Homme sévère, loyal et fier, très attaché aux coutumes et à la religion de son enfance et de son pays, ne se pliant que sous la discipline militaire, il allait se trouver en contact avec des gens de proie, dénués de pitié comme de bonne foi, naïvement perfides, se croyant tout permis quand ils ont dit leur chapelet, renfermés dans la minutie des pratiques, et pillant, trompant, tuant, en sûreté de conscience. Stoddart s’était déjà fait des ennemis ; Yar-Méhémet, visir de Hérat, était en très mauvais termes avec le colonel, dont l’humeur altière l’avait blessé. Ce visir adressa une lettre secrète à Nassr-Oullah, et chargea l’un des hommes de la suite du colonel de la remettre au roi. Stoddart y était représenté comme un espion fort dangereux, plein d’orgueil, de ruse, d’obstination, et qu’il fallait réduire ou exterminer.

Stoddart, qui ne se doutait ni de la belle lettre de recommandation dont un de ses suivans était porteur, ni des mœurs auxquelles il allait se mêler, traversa la première ville sans encombre et entra dans la capitale de Nassr-Oullah-Bahadour, deux jours avant la fête du ramazan. Il était attendu ; une escorte nombreuse de cavalerie, précédée par un mehmandahr, l’accueillit et l’accompagna jusqu’à la résidence qu’on lui avait assignée près de la maison du visir, nommé Mahzoum-Berde-Reiss. Le visir affecta beaucoup de colère de ce que les lettres de créance de Stoddart eussent été adressées à son prédécesseur et non à lui-même : c’était un prétexte ridicule d’irritation, puisque l’on ignorait en Perse, au moment du départ du colonel, la nomination du visir nouveau ; mais le système d’intimidation commençait. La lettre du visir de Hérat était déjà parvenue au maître de Bokhara, et ce dernier cherchait les moyens efficaces d’humilier l’étranger qui venait se jouer à lui. Stoddart accueillit ces injures avec