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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/1094

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paraît que le colonel, au contraire, avait mis dans sa tête de fouler aux pieds l’étiquette des Ouzbecks, et de faire prévaloir à la cour de Bohkara cette raideur si chère aux voyageurs anglais, et dont l’Europe s’est souvent offensée. On le plaça dans un corridor qui conduit à l’Avezahna, espèce de cour où le roi donne ses audiences et reçoit les pétitions ; un maharam, s’approchant de lui, le prévint qu’il allait demander de sa part à l’émir la permission d’être introduit, et lui présenter son arzie bendaghanie, « la prière de son esclave. » Stoddart s’en offensa ; autant vaudrait s’offenser des mots votre majesté, qui n’appartiennent guère qu’à Dieu, ou de la formule votre très humble serviteur, qui ne signifie rien. L’esprit court et rigide du colonel jugea cette formule inconvenante ; il répondit avec véhémence : « Je n’adresse de prières qu’à Dieu, je ne suis l’esclave de personne ; dites-le bien à votre maître. Je lui communiquerai ce que j’ai à lui dire lorsqu’il m’aura reçu, mais non auparavant. » La même inflexibilité se manifesta par plusieurs autres traits de même nature. La présence d’un souverain dans ces pays est présumée devoir attérer de son éclat l’étranger qui se hasarde à en soutenir les rayons ; en conséquence, on le prend par-dessous les aisselles, et on le soutient dans sa faiblesse lorsqu’il entre dans la salle où le roi se trouve. Stoddart, soumis à la même cérémonie, secoua violemment ses deux acolytes et s’en débarrassa ; selon le capitaine Grover, lorsque le maître des cérémonies vint tâter ses vêtemens pour s’assurer qu’il n’avait pas d’armes cachées, il le renversa d’un grand coup de poing et l’étendit à demi mort ; cette circonstance, qui a été révoquée en doute, s’accorde d’ailleurs généralement avec la conduite du colonel. A la porte de la salle est placé un huissier, qui, au moment où un étranger est admis, prononce les mots : « Priez tous pour le roi ; » comme si, dans ces mœurs féroces, la mort et le danger étaient sans cesse présens. Stoddart, qui ne s’était informé d’aucun de ces détails, au lieu d’une prière mentale, se mit à réciter à haute voix une prière à Dieu en persan. Nassr-Oullah, assis sous le dais royal, caressait sa barbe, plein de haine pour cet étranger, de dégoût pour sa grossièreté et fatigué de ses airs dominateurs. Il prononça l'Allaltoû Akbar ordinaire, reçut la lettre dont Stoddart était porteur, et le renvoya.

Ce début ne promettait pas d’heureux succès. Stoddart, qui n’avait rien fait pour se concilier l’estime et la confiance du maître, arrivait à Bokhara sans présens, sans escorte, armé de sa seule intrépidité. Il se présentait en conquérant plutôt qu’en allié ou en ami ; son caractère politique était équivoque ; il ne représentait ni l’Angleterre ni