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furent posées devant lui. Le patient suivait du regard tous les mouvemens du nouveau venu auquel on témoignait beaucoup de respect, et qui lui semblait devoir être l’émir lui-même ; se soulevant de son mieux sur le parquet et reprenant un peu de forces : « Je prie le Tout-Puissant, lui dit-il d’une voix ferme, qu’il vous pardonne. Vous avez mal fait de jeter dans cette prison un homme innocent, chargé d’une mission de son gouvernement auprès de votre roi. Si vous n’étiez pas disposés à me recevoir, vous ne deviez pas me laisser entrer dans votre ville ; c’était au visir de me signifier les volontés de son maître. Si vous voulez que je parte, je suis prêt à faire ce que vous désirez. » Après avoir écouté cela fort attentivement, l’homme voilé se leva et dit : « Je communiquerai ces choses à l’émir. »

Ce personnage était le chef de la police de Bokhara, nommé Mirîe-Schaab. Il sortit pour exécuter les volontés de son maître, saisit tous les papiers du colonel, les brûla, mit ses effets et ses équipages à l’encan, et le fit transférer dans un cachot plus horrible que le précédent ; descendu au moyen d’une corde à une profondeur de vingt-un pieds, Stoddart se trouva dans un puits avec trois malheureux, dont deux voleurs et un assassin. Ce dernier y avait passé plusieurs années, et Stoddart y passa deux mois. Les insectes et les reptiles que l’humidité entretient dans ce trou infect livraient une guerre incessante aux prisonniers ; la corde qui les avait descendus leur apportait quelques alimens, et tout le temps était employé à fumer ensemble.

Lorsque le caprice farouche de Nassr-Oullah fut assouvi, lorsqu’il crut avoir dompté l’orgueil de l’Anglais et lui avoir imprimé la terreur de sa puissance, il donna ordre au ministre de la police de tirer le colonel du puits où il croupissait depuis deux mois et de le garder chez lui. Deux jours après, le bourreau vint, chargé d’annoncer la mort à Stoddart, avec la seule alternative de se faire mahométan. Stoddart, vaincu par la souffrance et l’épuisement, répéta la confession de foi de l’islam. Sa piété vive et austère ne se pardonna jamais cette faiblesse, qui remplit le reste de sa vie d’un repentir amer. Cependant le bruit des cruautés exercées sur la personne de Stoddart s’était répandu, et le général russe Perowsky, gouverneur d’Orembourg, fit demander à Nassr-Oullah que le captif fût remis aux mains des Russes. On conduisit ce dernier chez l’émir. « Les Russes vous réclament, lui dit le roi ; que veulent-ils faire de vous ? Vous traiteront-ils bien, et vous remettrai-je entre leurs mains ? — Je suis sûr, répliqua le colonel, d’être bien traité par les Russes ; mais si mon gouvernement vous demande ce que votre altesse a fait de moi, que répondrez-vous ? » Telles