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dans cette correspondance, en partie imprimée, on est surpris de reconnaître le style puritain des contemporains de Cromwell ; au-dessus des intérêts diplomatiques ou guerriers, l’intérêt religieux domine l’esprit et la destinée de Stoddart, à qui ces sentimens élevés prêtent une grandeur réelle. Le capitaine Conolly, chargé auprès du roi du Kokan d’une mission analogue à celle de Stoddart, en recevant une de ces lettres, résolut d’aller trouver son frère d’armes, et de partager ses dangers. La tentative était hasardeuse, car Nassr-Oullah regardait Conolly comme le mobile des embarras qui lui étaient suscités et de la guerre qu’il avait à soutenir contre ses voisins. Mohammed-Ali, roi du Kokan, lui permit de se rendre à Bokhara sous condition de le renseigner exactement sur la route que son ennemi devait prendre pour arriver jusqu’à lui. Quant à Nassr-Oullah, ce nouvel Anglais qui venait s’engager dans ses filets le charma ; il se hâta de donner son consentement, et promit la liberté à un esclave qui se chargea de porter à Conolly la dépêche royale et de traverser un pays couvert de troupes et plein de périls. Conolly, reçu d’abord dans le camp royal, interrogé avec hauteur, accueilli froidement et dirigé sur Bokhara sous escorte, fut logé chez le naïb Abd-Oul-Samet. Stoddart habitait la maison de l’ambassade russe, où il trouvait sécurité. On eut peur qu’il ne voulût y rester, et que ses amis russes ne le défendissent. Pour l’engager à rentrer chez Abd-Oul-Samet, on empêcha Conolly de le voir ; les deux amis, ainsi séparés, ne tendirent plus qu’à se réunir, et Stoddart, entraîné par un désir aussi facile à comprendre que fatal, quitta l’ambassade russe pour aller vivre avec son ami chez Abd-Oul-Samet. On était au 11 novembre 1840.

Nassr-Oullah se trouvait seul maître des deux Anglais, et c’était ce qu’il voulait. La guerre du Kaboul continuait, et les populations de l’Asie centrale s’animaient d’une fureur profonde contre le pouvoir qui les pressait et les enveloppait. La conduite de Nassr-Oullah envers Conolly était toujours hautaine et menaçante ; Abd-Oul-Samet craignit ou feignit de craindre qu’une partie de la colère du monarque ne tombât sur lui-même, et une maison particulière fut assignée aux Anglais, avec un revenu de 3 tillahs ou 30 shellings par jour. Pendant un mois, Conolly demanda et ne put obtenir une audience particulière. Le 2 décembre seulement, on conduisit les deux prisonniers chez Nassr-Oullah. « Où sont vos lettres ? demanda-t-il à Conolly. Vous êtes un espion ; mais souvenez-vous que Bokhara n’est pas aussi facile à conquérir que l’Afghanistan. Je vais vous envoyer en prison,