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et vos Anglais viendront avec une armée, s’ils veulent, pour vous tirer de mes mains. » Conolly répondit avec autant de fermeté, mais plus de prudence que Stoddart, et l’un et l’autre furent congédiés. On les enferma dans une chambre du palais, où ils passèrent une nuit de terreur et de souffrance ; le lendemain, on les conduisit en prison.

Plusieurs de ces faits, avancés par le capitaine Grover, ont été controversés ou niés quant à l’exactitude des détails ; les variantes que l’on y oppose ne changent pas matériellement la situation que nous avons décrite. Les vacillations du roi de Bokhara dans sa conduite envers Conolly peuvent avoir été plus ou moins marquées, il a pu montrer d’abord quelques égards pour ce dernier, ce qui importe peu. Les évènemens suivaient leur cours, l’insurrection du Kaboul se propageait. Le messager juif chargé d’apporter à Nassr-Oullah une lettre de lord Palmerston réclamant la liberté des captifs fut, suivant le capitaine Grover, décapité d’un coup de cimeterre dans le corridor du palais, selon d’autres, jeté dans le puits noir et exécuté. L’Angleterre, sans pouvoir dans le pays, n’avait plus de mission à Hérat, à Khiva, ni dans le Kokan ; l’Afghanistan était en armes, et toutes les communications interrompues ; ces sentinelles perdues de la puissance britannique dans l’Inde semblaient vouées à la mort.

Cependant ils avaient des amis qui ne les oubliaient pas. M. de Boutenieff, l’ambassadeur du tsar, que la fureur croissante du khan força de quitter Bokhara, ne cessait pas de réclamer. Alors le fils d’un juge ou kazie de Hérat, Akounzadeh-Saleh-Mahomed, dont la famille devait la vie à un Anglais, au major Todd, et qui semblait faire du dévouement aux compatriotes de son libérateur le but unique de ses actions, voulut tout braver pour aller retrouver à Bokhara, malgré le péril, le capitaine Conolly, au service particulier duquel il se trouvait attaché depuis long-temps. La générosité de cet Asiatique, aussi active que sa reconnaissance était ardente, mérite de nous arrêter quelques instans.

Six mois auparavant, un ami du major Todd, le capitaine Abbott, cet envoyé à Khiva dont nous avons déjà parlé, avait quitté le roi de ce pays pour se rendre en Russie ; une bande de Kozacks le surprit en route, tua ses gens, le dépouilla et le retint captif. Comme il était par terre dans une tente, où on le gardait à vue et où il attendait la mort, un Kozack entra et lui dit : « On vient vous délivrer. » Puis un jeune homme en costume afghan souleva le cuir de la tente, s’élança vers lui, se jeta à son cou en versant des larmes. « Gloire