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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/1101

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à Dieu ! s’écria-t-il en persan, je vous trouve enfin ! Relevez la tête, seigneur, vos malheurs sont finis. » C’était Akounzadeh, que le major Todd avait chargé d’aller à la recherche d’Abbott, avec une somme d’argent considérable, et de sauver sa vie. Traversant les steppes, allant d’une tente à l’autre sans savoir le langage des Kozacks, égaré par leurs faux renseignemens, forcé de lutter contre la mauvaise volonté de sa propre escorte, il avait battu le désert dans toutes les directions pour accomplir les volontés de Todd, son bienfaiteur ; et, sans se décourager, parvenu aux bords de la mer Caspienne, où il « ne voyait plus, dit-il dans sa narration[1], ni une voile sur la mer, ni un abri sur les steppes, » il rencontra enfin le malheureux capitaine, qu’il conduisit sain et sauf à la première forteresse russe. On ne sait pas trop pourquoi le capitaine Grover appelle « coquin de premier ordre (a regular scoundrel) » un homme si fidèle et si dévoué, qui pendant vingt-deux jours de marche à travers le désert garda 980 ducats roulés dans sa ceinture, et les apporta intégralement au capitaine Abbott. Le même Akounzadeh, six mois après, ne trouvant plus à Khiva Conolly, son ami et son maître, se dirigea résolument vers Bokhara, pour lui porter des nouvelles et de l’argent. « Vous vous exposez, lui dit le khan Houzourout en le voyant partir ; Conolly a fait une grande faute de se livrer lui même au khan de Bokhara ; il sera traité comme le colonel Stoddart. » Akounzadeh faillit y perdre la vie, comme on va le voir. Arrêté à la frontière, puis conduit devant l’émir, qui le regarda sans dire un mot, il fut jeté en prison avec ses domestiques. Il trouva cependant moyen de communiquer avec Conolly, et c’est une chose touchante de voir ces deux hommes, prisonniers l’un et l’autre, l’un Asiatique, né à Hérat, l’autre Européen, né à Londres, ne jamais se perdre de vue du fond de leurs cachots et se rendre jusqu’à la mort des services mutuels.

L’histoire des deux officiers anglais avait pénétré en Perse, dans l’Hindoustan, en Europe ; partout un intérêt très vif s’attachait à eux. Ni l’Angleterre ni même la Russie ne les avaient délaissés. Depuis le mois de février 1839, le lieutenant Pottinger, agent politique à Hérat, sir John Keane, commandant l’armée du Kaboul, l’envoyé, sir William Macnaghten, avaient assiégé Nassr-Oullah de leurs remontrances ; le chef des moullahs ou prêtres de Hérat, Khan-Moullah-Khan, était venu, de la part du major Todd, demander la liberté du

  1. Récit du voyage de Saleh-Mahommed de Hérat, dit Akounzadeh. Victims of Bokhara, appendix, p. 215.